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Yves Rifaux, chroniqueur de l'art de l'enfance

Jean-Paul GOUREVITCH
1 janvier 1990

La plupart des ouvrages savants traitant de littérature de jeunesse passent
sous silence le Musée l'Art de l'Enfance de Marcellaz d'Albanais et son créateur-animateur-
découvreur- metteur en scène infatigable, Yves Rifaux. Au moment où
Yves vient de nous quitter, laissant dans la peine tous ses amis et notamment les
Gens d'Images et les Compagnons de Lure qui ne se résignent pas à ne
plus entendre ses interventions corruscantes et assister à ses mises en scène
décoiffantes, il est opportun de faire un retour en arrière sur ce
que le Musée et son créateur ont apporté à l'exploration
de la littérature de jeunesse.

Yves était tout le contraire d'un universitaire ennuyeux et d'un conservateur
austère. Il abordait chaque sujet avec la passion de l'explorateur et la modestie
du témoin. L'avant-propos de sa petite histoire de la littérature
enfantine
publiée en 1986 indique clairement le sens de la démarche.
"Cette petite histoire de la littérature enfantine fut écrite...dans
les années 70. Elle ne prétend pas traiter de l'ensemble de ce vaste
sujet mais être un guide pour aller à la rencontre de cet univers merveilleux.
Peu d'auteurs se sont penchés sur celui-ci. Certains comme François
Caradec l'ont fait avec l'esprit de l'analyste, pour nous ce fut l'esprit simple
du chroniqueur".

Chroniqueur, Yves Rifaux le fut pleinement , non pas au sens du petit Larousse, celui
qui rapporte dans un journal les nouvelles du jour, mais au sens de Saint-John Perse
qui célébra l'honneur de la chronique: "Prédateurs, certes!
nous le fûmes; et de nuls maîtres que nous-mêmes tenant nos lettres
de franchise- Tant de sanctuaires éventés et de doctrines mises à
nu, comme femmes aux hanches découvertes". Dans sa traque de tout ce
qui relève de l'art de l'enfance, Yves Rifaux a multiplié les prises
glorieuses: abécédaires, albums, boites à images, cahiers d'écoliers,
castellets, chromos,collages, devinettes, images d'épinal, jeux de l'oie,
lanternes magiques, livres de colportage, pops-up, poupées, réclames,
scraps. Tous ces supports ont fait l'objet d'expositions et de 36 catalogues comme
autant de chandelles où Yves avec anecdotes et humour éclaire brièvement
un secteur mal balisé: "les secrets optiques des nécromanciens"
(les ancêtres de la lanterne magique), les théâtres d'ombre ou
encore ce savoureux Loup y es-tu? ou les atroces joyeusetés de la Littérature
pour la jeunesse à la Belle Epoque
, 300 pages illustrées publiées
en 1999, comme une sorte de testament-témoignage sur ces "curiosités"
dont Yves Rifaux ne se laissait pas.

Mais tous ses opuscules ne rendront pas compte de l'art du conteur qui savait balayer
en une heure les postures de l'enfant à table de Plutarque au Mac Do en passant
par Rôti-Cochon et les conseils d'anthropophagie de Swift pour éradiquer
la misère en Irlande, se déguiser en Robertson versant dans sa cassolette
les ingrédients nécessaires à la fumée maléfique
qui ferait revivre ses "fantasmagories", ou nous entraîner dans des
parcours atypiques à travers les enseignes d'autrefois, les débuts
de la lanterne magique ou du cinéma chez soi, les jeux sur écran ou
la renaissance des "films vues fixes" dans les années 50.

Chevalier de l'Ordre National du Mérite, Yves Rifaux savait que les distinctions
n'honorent que ceux qui les confèrent. "Nos oeuvres, dit encore Saint-John
Perse, vivent loin de nous dans leurs vergers d'éclairs. Et nous n'avons de
rang parmi les hommes de l'instant" Yves Rifaux a découvert aux amateurs,
c'est à dire à ceux qui l'aimaient, ses trésors de flibuste.
Pour les autres il est temps d'y entrer en jouissance et de prendre rang et date
pour des expéditions en terres d'enfance, ce pays où l'on n'arrive
jamais mais dont Yves nous a rapporté tant de cartes.