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Yan Nascimbene

Entretien graphique

Charlotte Javaux
24 septembre 2009


Yan Nascimbene a toujours dessiné, réalisé des photos et écrit des
histoires. La création est pour lui une fonction vitale. Il a illustré
plus de 300 couvertures et signé une soixantaine d'albums, dont certains
comme auteur (Antibes, Clavière et autres couleurs, (Gallimard, 1991),
Un jour en Septembre (Creative Editions et Gallimard,1995), Bleue marine
(Creative Edtions et Milan,1999). En 1987, Pierre Marchand lui confie la
réalisation des couvertures de la nouvelle collection "Page Blanche".
Elle durera 13 ans. Parallèlement, il travaille pour la presse et
l'édition aux Etats-Unis, et également en Italie et au Japon. On lui
doit aussi les magnifiques illustrations de trois titres d'Italo
Calvino, "Aventures", "Palomar", "Le Baron perché" publiés au Seuil. Son
travail est couronné par de prestigieux prix (prix graphique de la Foire
Internationale de Bologne, une médaille d'or et deux médailles d'argent
de la Society of Illustrators de New York). Outre l'illustration, la
photographie et son travail d'auteur, Yan Nascimbene réalise des
peintures à l'huile sur toile. Yan Nascimbene vit avec son épouse entre
Cotignac, dans le Var, et San Francisco.




Antibes, Clavière et autres couleurs



- La création est-elle pour vous un voyage, un refuge ou une
nécessité ?



Un peu tout ça. Un voyage vers le passé, mes souvenirs d’enfance, des
émotions lointaines qui, aujourd’hui, douloureuses ou non, déterminent
l’atmosphère et parfois les sujets de mes images. L’isolement, la
solitude, un certain abandon... mais ne dramatisons pas; je suis
conscient de mes privilèges. Inventer des images et des récits me permet
aussi de voyager vers d’autres pays à peu de frais!

La création est avant tout une nécessité biologique, comme dormir,
manger, et une psychothérapie !


Quant au « refuge »... Ma vie et mon travail sont un refuge, l‘un est le
prolongement de l’autre et inversement. C’est un tout. Encore une fois,
ce sont des privilèges que de vivre avec la femme qu’on aime, à peu près
où on veut, de faire un travail qu’on aime et d’être libre. Libre de son
temps, de ses choix. Ça implique malgré tout beaucoup de discipline et
d’organisation.





Il y a des images obsessionnelles, liées à mon enfance. Je ne peux
pas m'empêcher de les faire et les refaire. Ce chemin du Bois de
Boulogne longe le Jardin d'Acclimatation. Il se situe à quelques minutes
d'où nous habitions, lorsque j'était enfant.




Bois de Boulogne (une autre vue du même lieu, celle-ci à l'huile sur
toile (90X116cm).




Antibes, la pelouse. Huile sur toile (73 X116cm).



Antibes, la piscine. Huile sur toile (73 X116cm).






Chaque soir mon frère Eric et moi empruntions cette allée qui menait
de la villa du Cap d'Antibes à l'annexe où nous logions. Il me tenait
par la main.



- Qu’est-ce qui a agi chez vous comme un révélateur pour vous lancer
dans le métier d’illustrateur ?



J’ai toujours dessiné, écrit, pris des photos, raconté des histoires,
j’ai réalisé un film de long-métrage qui a été invité à une dizaine de
festivals internationaux (un truc de jeunesse, assez prétentieux). Je
suis devenu illustrateur -et me suis ainsi mis à travailler «
sérieusement »- très tard, à 35 ans, tout simplement parce que j’avais
besoin de gagner ma vie.


- Etes-vous un collectionneur d’images ? Lesquelles emporteriez-vous
avec vous sur une île déserte ?



Offrez-moi d’abord mon île! Sauf quelques rares exceptions, j’aime tous
les peintres, avec une prédilection pour les peintres du silence, de
l’espace. L’attente, l’esseulement. Je pense à Vermeer, Monet,
Vallotton, Morandi, Rothko, Nicolas de Staël, Hopper, Jasper Johns, Cy
Twombly... Mais surtout il faut apprendre à voir ce qui nous entoure.
(Bonnard, je crois, a dit que ce qu’il y a de plus beau dans un musée ce
sont les fenêtres).


Quant au côté collectionneur, lorsque nous habitions à San Francisco
j’avais accumulé un grand nombre de dessins, de peintures, de photos, de
sculptures, il y avait de très belles choses. Des échanges avec des amis
surtout, et des reliques familiales, de très belles pièces signées de
René Lalique et autres choses de ce genre, mais ce ne sont après tout
que des objets et ça prend de la place; Joan et moi avons tout donné à
nos enfants qui sont restés aux Etats-Unis.






Vallotton







Sargent. (Quelle composition! La pluspart de ses peintures sont
médiocres ou sans intérêt, et soudain c'est le génie pur!)




- A côté du livre pour enfants, quels sont les espaces de création
que vous aimez investir ?



J’aime illustrer des récits pour adultes. Je suis en train d’illustrer
une très belle collection de nouvelles américaines classiques. Je peints
sur toile. J'écris. J’aime aussi faire la cuisine, et j’aimais me
balader avec nos chiennes Simca et Cicciolina, mais elles sont mortes.
(C’était créatif puisque ça me permettait de réfléchir). Elles me
manquent beaucoup.


- Participent-ils d’une même approche ?

Sans vraiment me poser de questions, mes images s’adaptent d'elles-même
au texte - je l’espère tout du moins - et donc à un lecteur enfant,
adolescent ou adulte. Oui, l'approche entre la peinture, la photo,
l'écriture sont les mêmes, il s'agit toujours de plaisir, du besoin de
raconter des histoires. (Quant à la cuisine et les chiens, non ce n’est
pas tout à fait la même approche).





Campoo dei Fiori. Huile sur toile (90X116cm)




- Vos premiers pas comme illustrateur ont-ils été difficiles ?
Quelqu'un vous a-t-il encouragé à poursuivre ?



J’ai été poussé par un besoin pressant de gagner des sous, de faire
vivre ma famille, c’est le moteur principal. Lorsqu'à 18 ans j’étais
-brièvement- assistant-photographe de mode, le directeur artistique
Jacques de Pindray, un type extraordinaire, m’a le premier poussé à
partir pour les Etats-Unis où il se passait à l’époque (1970) tant de
choses.





Et puis j’ai eu beaucoup de chance avec la décision de Pierre Marchand
(alors directeur de Gallimard Jeunesse) de me confier toutes les
couvertures de la collection Page Blanche. Je crois en avoir réalisées
au moins 150 sur une durée de 13 ans.



Quelques couvertures de la collection Page
Blanche :








- Quel(s) souvenir(s) gardez-vous de votre apprentissage à la School
of Visual Arts de New York et puis à l'Université de Californie ?



C’était sympa, le début des années ’70. On rigolait bien. Cheveux
jusqu’à mi-dos, chemises transparentes, colliers en verrerie et
clochettes, les pieds nus... Nous étions très jeunes, très naïfs, beaux
(eh oui!) et totalement superficiels. Déjà je n’aimais ni la foule, ni
sortir en boite ni tout ça. Je préférais le calme et le silence de notre
petite maison en bois blanc, notre vie à deux, tranquille. Nous rêvions
d’une terrasse ensoleillée avec la peinture, deux enfants nus jouant sur
une terrasse ensoleillée et quelques moutons; finalement, en dehors des
moutons, nous avons à peu près réalisé notre rêve.





Joan et moi, lorque nous étions étudiants en Califormie habitions
cette petite maison blanche en bois, qui figure dans "Un Jour en
Septembre" (Gallimard Jeunesse).





Ah oui ! La question, c’était au sujet de mes études : je n’ai
absolument rien appris; bien à tort, je croyais déjà tout savoir.


- Avez-vous un "rituel" de création ?

Des superstitions sûrement, et un attachement particulier à mes outils
de travail.


- Que doit contenir une image narrative réussie ?


Elle doit projeter l’esprit du récit. (Bien sûr elle ne doit pas
recalquer le sujet).












- Quels sont les affichistes, graphistes, créateurs ou peintres qui
ont compté ou comptent pour vous ?



Ce sont les peintres dont je parlais plus haut. Et puis il y a une
multitude d’illustrateurs de grand talent. Je suis particulièrement
admiratif de tous ceux bien plus jeunes que moi. Jamais à leur âge, je
n’aurais su faire le travail qu’ils font.





Kawase Hasui






Kawase Hasui


Nicolas de Staël


Nicolas de Staël


Nicolas de Staël


- Quel a été votre moment de triomphe, et votre heure la plus noire ?
Pourquoi ?



La vie m’a offert des minutes de gloire et de grandes tristesses. Avec
le recul, on s’aperçoit que les médailles et autres trucs de ce genre
sont superficiels et complètement inutiles. Mes années noires sont
celles de mon enfance, le pensionnat surtout, mais elles me permettent
aujourd’hui de faire un travail qui, j’espère, a une certaine valeur.





"A Day in September", Creative Editions, USA (et "Un jour en
Septembre", Gallimard Jeunesse, France)




"A Day in September", Creative Editions, USA (et "Un jour en
Septembre", Gallimard Jeunesse, France)




- Vous avez illustré plusieurs textes d'Italo Calvino qui ont été
publiés au Seuil Jeunesse. Que représente ce travail pour vous ?



Calvino est l’un des plus grands auteurs italiens. J’ai toujours rêvé de
l’illustrer, (peut-être aussi parce que je suis à moitié italien, mais
surtout parce que je suis très sensible à son univers; le merveilleux
dans la vie de tous les jours). Ces trois livres restent pour moi
extrêmement importants; j’en suis très fier. Encore une fois j’ai eu
beaucoup de chance.





Calvino "Aventures"



Calvino "Aventures"


Calvino "Aventures"


Calvino "Palomar"



Calvino "Palomar"



Calvino "Le baron perché"


- Quelles ont été vos rencontres déterminantes parmi les éditeurs que
vous avez côtoyés ?



Pierre Marchand tout d’abord; je lui dois ma carrière d’illustrateur, et
donc une grande partie de ma vie. Jacques Binsztok qui, avec Esther
Calvino, m’a fait confiance pour l’illustration d’Italo Calvino. Et Tom
Peterson, un grand ami et le meilleur éditeur américain de livres pour
enfants. Je dois aussi beaucoup à Christine Baker chez Gallimard.


- Pourriez-vous décrire votre empreinte, votre univers, votre
approche ?



Je suis fait comme tous : d'une somme de souvenirs, d’accidents,
d’échecs et de quelques succès. On se débat comme on peut. Il y a des
grands moments de détresse et des moments de joie. Il y a des trucs
aussi bêtes qu’une maladie grave, il y a la fortune colossale, le luxe à
outrance dans lequel j’ai été élevé. Et le vide, l’absence, le silence.
L’abandon et la résignation... Il y a Joan. Tout ça crée mon univers,
celui dans lequel je vis et que je recrée dans mon travail.


- Votre technique change-t-elle ? Aimez-vous la renouveler ?

Trop longtemps, elle n’a pas changé. Mais je me suis mis avec beaucoup
de joie et de frustration à faire de la Peinture! De grandes huiles sur
toile. Ça me rappelle l’émotion et l’enthousiasme de mes vingt ans. Et
elles obtiennent un certain succès. C'est une bonne surprise. J’essaye
aussi d’écrire davantage.





Goldfish. Huile sur toile. (90 X116cm).



Tower. Huile sur toile (81 X 100 cm).




- Peut-on sortir indemne de l’expérience de la création ?


Il n’y a pas d’autre solution pour moi que cette expérience. En ce qui
me concerne, je poserais la question inverse : Peut-on sortir indemne
d’une vie sans création?


- Vous avez travaillé pour la presse et l'édition aux Etats-Unis et
en France. Entre les Etats-Unis et la France constatez-vous des
différences dans la manière de travailler ?



Dans un pays comme dans l’autre, chaque projet est une nouvelle
expérience, unique. D’une façon générale, disons qu’on me donne beaucoup
plus de sous et beaucoup moins de liberté aux Etats-Unis. (Tom Peterson
est un cas à part, et j’ai quand même de très heureuses expériences aux
Etats-Unis).





J'ai fait figurer ce voilier, "L'Allure", dans plusieurs
illustrations. Ici, il est "mis en scène" dans "Ocean Deep" (Publié par
Tom Peterson/ Creative Editions. Puis en fnacais par les Editions Milan
sous le titre "Bleue Marine"). Ce "côtre bermudien" construit par Camper
& Nicholson dans les années '30 , appartenatit à mon oncle puis à mon
père. Je l'ai revu un jour par hasard il y a quelques années, à
l'abandon.




"Ocean Deep", Creative Editions, USA (et "Bleue marine", Editions
Milan, France)




- L'année dernière est sorti "Les deux anniversaires d'Ariane" aux
éditions Chan-Ok. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce projet ?



Ah! Oui, la genèse de ce projet est une jolie histoire: Il y a
vingt-cinq ans, lorsque débutait avec la collection Gallimard "Page
Blanche", ma carrière d'illustrateur, une petite fille m'a écrit pour me
dire qu'elle aimait mes dessins. Je lui ai répondu pour la remercier. La
petite fille a grandi et est devenue éditrice. Hélène Chan-Ok
Charbonnier il y a quelques mois m'a contacté pour qu'on fasse un livre
ensemble. Elle m'a dit qu'elle avait gardé la carte postale que je lui
avais adressée il y a tant d'années. Le livre est là. Le parcours d'une
enfant coréenne raconté avec lucidité et tendresse par Jee-Yung, adoptée
comme l'est Ariane, l'héroïne du récit, comme son éditrice, Hélène
Chan-Ok, comme l'est ma fille, marocaine d'origine, comme le sont mon
frère et ma soeur nigériens. Un jour une petite fille m'a écrit que mes
images étaient belles comme un fruit. C’est le plus beau compliment
qu’on m’ait jamais fait. C'était peut-être une autre petite fille, ou
bien c'était Hélène.





"Les 2 Anniversaires d'Ariane", Editions Chan-Ok




- Quels types d'histoires ou textes aimez-vous illustrer ? Quel titre
et /ou texte d'auteur aimeriez-vous que l'on vous propose ?



On me conseille souvent de me lancer dans la BD. Mon ami Miles Hyman en
particulier m’assure qu’il y désormais d’excellentes choses en ce
domaine publiées en France ainsi qu’aux Etats-Unis, et qu’en plus ça se
vend très bien. Bon. Mais j’ai lu et vu de telles merdes! Alors voilà,
peut-être de la BD... En fait, j’aimerais écrire davantage, pour un
public adulte, et illustrer mes textes. 50% d’images, 50% de texte. Avis
aux éditeurs intéressés ...s’ils existent! En dehors de mes propres
textes, j’aimerais illustrer de la littérature indienne, et
sud-américaine (Jorge Amado entre autre) et puis aussi les très beaux
romans de Jose Saramago. Et Italo Svevo. Et "Le Silence" de Roger
Grenier.


J’aimerais aussi ranger une bonne fois pour toutes mes pinceaux, mes
plumes et mes crayons dans une jolie boîte et la jeter à la mer, mais
comme le dit justement Joan “on a pris notre retraite à l’envers, de 20
à 35 ans, et désormais on va bosser jusqu’à en crever!”




Vuillard. (Sa plus belle peinture, que Joan et moi aimons depuis
toujours. A défaut de l'original, à Rome comme à Paris ou en Californie,
la carte postale a toujours été agraffée à nos murs ou posée sur une
cheminée).




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Propos recueillis par Charlotte Javaux

Auteurs et illustrateurs en lien avec l'interview

Illustration d'auteur

Yan Nascimbene

française