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Timothée de Fombelle

Sylvie Neeman
8 septembre 2011
Timothée de Fombelle est l’heureux auteur de deux grands succès littéraires en particulier:  Tobie Lolness, dont les aventures ont paru chez Gallimard jeunesse en 2006 et 2007, et Vango, dont le premier tome a été publié l’année dernière chez le même éditeur ; au moment de cet entretien, il achevait la rédaction du second tome. En réfléchissant à ses romans, mais aussi à sa pièce de théâtre Le Phare, une évidence se fait jour : l’écrivain a ses motifs, ses fascinations. Peut-être peut-on parler d’obsessions ? Entretien par Sylvie Neeman.





Sylvie Neeman : Lorsqu’on lit vos romans, Timothée de Fombelle, on ne doit pas être sujet au vertige. Les motifs de la verticalité, de l’abrupt, sont omniprésents, qu’il s’agisse de l’arbre où évolue Tobie, avec ses lieux suspendus, ses ravins, ses gorges, ou mieux encore de l’incroyable scène d’ouverture de Vango. Avez-vous déjà réfléchi à votre fascination pour tout ce qui relève de l’à-pic le plus acrobatique ? D’où vous vient-elle ?

Timothée de Fombelle : Je crois que cette verticalité est inscrite dans la démarche d’un créateur. Ecrire, c’est pour moi se lever, se mettre debout, prendre un peu de hauteur ou au contraire soulever le réel. Mais je suis passionné de cuisine et je dirais la même chose d’un bon plat. Quand on cuisine on arrête le temps, on élève le quotidien, on brandit les herbes du jardin, la pomme de terre ! J’écris du roman d’aventure, alors je cherche tout ce qui, dans une vie, a de la hauteur : je sais par avance que c’est là-haut que je trouverai de l’air, de l’émotion, du souffle. La verticale donne le vertige, elle fait battre le coeur. Elle fait peur et elle attire. Dans Tobie, j’ai mis le monde à la verticale, dans un arbre. Dans Vango c’est mon héros qui fait faire un quart de tour au monde, pour le dresser. Il n’y a aucun fantastique dans Vango, mais c’est le regard du héros qui transforme le réel.


 



 


Ne serait-ce pas plutôt votre regard à vous qui le sublime ? Qui trouve – tout comme dans la pomme de terre, l’herbe aromatique – matière à «fantastique», autrement dit à s’émerveiller, dans ce qu’il y a de plus quotidien ?

Oui, j’ai sûrement une propension à l’enthousiasme. Chacun ses défauts. Mes proches me le disent… Mais heureusement, je suis très sensible au tragique, ce qui donne un équilibre, des racines. Je ne suis pas en suspension au-dessus de la réalité. Quand je travaille une phrase, je ne m’arrête pas avant qu’il y ait quelque chose qui palpite entre les mots. C’est peut-être le seul aspect «enfantin» de mon écriture, la recherche de la magie dans les petites choses. Je me souviens de mes rêveries pendant les longs trajets en voiture, je me rappelle aussi la mie de pain qui devient un avion ou un dinosaure. Je fais durer cette fascination en écrivant. Mais je ne crois pas que ce soit parce que j’écris pour la jeunesse. Quand j’écris du théâtre pour les grands, je ne fais pas autrement.

 
Dans la verticalité, il y a l’à-pic, mais il y a aussi le besoin de hauteur, d’élévation. Je le vois dans le motif des falaises, très présent en particulier dans Le Phare et dans Vango. N’est-il pas un peu paradoxal que des lieux aussi dangereux soient dans vos livres des refuges ?

C’est vrai. Une falaise est un mur, une paroi d’où l’on tombe ou qui nous arrête. C’est le lieu de la fragilité. Ce n’est pas un hasard si l’on se souvient de tant d’images romantiques dans la poésie ou la peinture, en haut des falaises. Mes personnages veulent apprivoiser ce lieu. Ils vont là où il n’y a personne. Ils sont familiers des nids d’hirondelles ou de faucons. Dans Vango, beaucoup de scènes se passent sur les toits de Paris. Dans le deuxième tome, on sera parfois dans les échafaudages d’une tour de New York, à la fin des années trente. Il y a en effet quelque chose d’obsessionnel ! Mais je n’écris pas vraiment une version de Spiderman… Je ne suis pas familier des super-héros. Je cherche avant tout la fragilité, le déséquilibre. L’origine de ces petits paradis perdus, perchés, est toujours dans l’enfance. Les nids, les cabanes, les cachettes : je n’ai jamais cessé d’en chercher. Pour moi, c’est là que l’aventure commence et s’achève.

 




 


La notion d’insularité est aussi très présente, que je mettrais en parallèle avec la solitude de vos héros, mais est-ce une solitude subie ou voulue ?

J’ai le sentiment que l’aspect initiatique de l’aventure que vivent Tobie ou Vango passe nécessairement par une sorte de mise à l’écart de la société. Quand on crée ou quand on choisit des mondes pour des histoires, il faut leur donner des frontières. L’île est parfaite pour cela. Déjà, ma première inspiration pour Tobie était la vision de la cime d’un mélèze dans la brume en hiver. Cela ressemblait à une île. Et je me disais, si quelqu’un vit là-haut, il se pose les mêmes questions que nous : «y a-t-il une vie en dehors de l’arbre ?». Dans Vango, l’archipel permet de juxtaposer ces mondes. On voit de l’autre côté de la mer un autre univers, inaccessible. J’ai ressenti ça dans certaines villes en Asie, quand je vivais au Vietnam : de l’autre côté du fleuve, il y avait la jungle. On peut vivre ce mystère à l’échelle d’un jardin urbain, en rêvant à ce qu’il y a derrière un mur ou un grillage. Quant à la mise à l’écart, c’est vrai que c’est présent dans tout ce que j’ai écrit. Je rapproche cet exil de la notion de durée. Ce qui m’intéresse, c’est d’envoyer mes héros longtemps loin du monde. Grâce à cela, ils deviennent différents. Ils apprennent à se servir de leurs propres forces. Mais c’est grâce à vos questions que je réfléchis à cela. Quand j’écris, je mets toutes les théories dehors ! Je pars à l’aventure.

 
Quelle était votre vie dans les îles éoliennes, où je crois savoir que vous avez séjourné, après la sortie de Tobie, séjourné et écrit. Pourquoi ces îles précisément ? Qu’y avez-vous trouvé?

L’accueil qui a été fait à Tobie m’a réjoui et m’a beaucoup occupé ! Or, je sentais que les beaux projets ne jaillissent que de la vie. Il fallait ralentir le temps, poser mes valises. Vango était dans ma tête depuis longtemps, je cherchais son berceau, le lieu où il grandit, le lieu qui lui apprend la vie. Les îles éoliennes m’ont paru être le lieu idéal, la force du volcan, le lien de la Sicile avec les migrations du XXe siècle, l’amour des câpres et du vin de Malvoisie ! Pour y enraciner mon héros, il fallait que j’y vive. C’était le seul moyen de ne pas en faire une carte postale. J’y suis parti trois mois, dans une petite maison avec ma femme et ma fille. J’ai pu ressentir la piqûre du figuier de barbarie, les orages nocturnes, j’ai vu verdir les falaises à l’automne, etc… C’est le coeur de ce livre. Vango finit toujours par y retourner. Les dernières lignes de Vango 1 se passent là-bas, celles de Vango 2 aussi. Cette expérience a été très forte. Se lever avec des journées blanches devant soi…

 
Parmi ces grandes trajectoires, ces élans formidables qui traversent les aventures de Vango – et apparemment le deuxième tome semble ne pas devoir me contredire – le «sentiment de l’histoire» m’apparaît extrêmement fort. D’où vous vient cette fascination ?

J’aime bien ce rapprochement entre les mots sentiment et histoire. C’est exactement ce que je veux faire. J’avais prévu de faire naître mon héros en 1914, qui est un peu la date de naissance officielle du siècle, et j’ai choisi finalement l’année 1915. C’est l’année de naissance de trois de mes grands-parents. Je voulais avoir un lien charnel avec ce Vango. Je ne le voulais pas simplement jeté dans le tourbillon de l’histoire. Maintenant que les deux tomes sont écrits, je sais que cette aventure est très éloignée d’un livre d’histoire, mais je crois en effet qu’elle donne le sentiment de l’histoire, c’est-à-dire son incarnation et son souffle. J’espère que ce sera utile pour redonner le fil du temps à des jeunes lecteurs. Je crois que la clef de mon intérêt pour cela vient de mes grands-parents. Mon grand-père m’a toujours raconté sa vie comme une aventure, la guerre, la captivité, les évasions… J’ai une approche vécue de l’histoire. Il était très proche du général de Gaulle dont il a dirigé le cabinet pendant 7 ans. Il me racontait cela comme d’autres racontent Les trois petits cochons ou Blanche-Neige. Mes grands-mères aussi ont incarné l’histoire par leur amour des rituels de vie, les livres, l’intelligence, la cuisine. Je ne vous ai pas parlé d’un autre grand-père disparu jeune, comme mon père, même leur absence est une poche de mystères, d’énergie et d’histoires.

 
Je ne peux résister à l’envie de vous demander quand sortira le second tome de Vango, et s’il sera aussi le dernier…

Le second tome de Vango sera le dernier, mais je crois qu’il contient deux ou trois livres que j’aurais pu écrire. Je suis heureux de ce foisonnement. Je le préfère à l’obligation de la trilogie ! Mon rythme est binaire pour l’instant. Mais chaque livre est comme un réservoir d’aventures. Le second volume paraîtra en octobre. Son écriture a encore été un moment fort pour moi. J’espère vraiment qu’il emportera les lecteurs…



Source : Revue Parole, publiée par l'Institut Suisse Jeunesse et Médias

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Timothée de Fombelle

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