Aller au contenu principal

Rechercher un article ou une interview

Date

«Nos livres respectent l’humain, la planète et les êtres vivants qui la peuplent». Rencontre avec La cabane bleue

Les jeunes éditions La cabane bleue portent drôlement bien leur nom! Ce n'est pas une grosse maison qui produit des dizaines de titres par an, mais une toute petite structure – une cabane d'édition pourrait-on dire? – qui tient à proposer des ouvrages de qualité, dans lesquels les jeunes lecteurs peuvent trouver refuge. Quant à la couleur bleue, elle évoque notre merveilleuse (et unique!) planète Terre, dont la sauvegarde est une des préoccupations principales de Sarah Hamon et Angela Léry, qui sont à la tête du projet. Ricochet a rencontré ces deux femmes engagées, animées par la volonté de faire des livres «autrement».

Damien Tornincasa
21 août 2020

Damien Tornincasa: Sarah et Angela, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours respectif et sur la genèse de votre maison d’édition?
Angela: Je suis une amoureuse de la littérature et de l’objet livre et, enfant, j’étais férue de lectures en tout genre. J’ai passé un bac L, puis j’ai fait deux années de prépa lettres (hypokhâgne / khâgne), avant d’intégrer un institut d’études politiques, car je voulais me tourner vers le journalisme audiovisuel. Finalement, le livre m’a rattrapée au vol et, mon diplôme de sciences po en poche, j’ai bifurqué vers un Master 2 «métiers du texte et de l’édition» à Rennes. J’ai fait différents stages et petits CDD en entreprise (MeMo, les Presses universitaires de Rennes...) pour finalement trouver un poste de libraire à Genève, dans votre beau pays! Après d’autres expériences, en documentation notamment, j’ai fini par trouver un poste de chargée de communication à Nantes pour une maison d’édition jeunesse, Gulf Stream Éditeur. J’y suis restée 7 ans et j’ai adoré travailler avec une petite équipe sur des projets divers et sur des genres littéraires variés (romans, documentaires, BD). Il fallait être une vraie couteau suisse et ça, j’adore! Le projet de La cabane bleue est né en novembre 2017 quand je suis allée voir mon amie Sarah au Salon de Montreuil. Toutes les incohérences du secteur du livre nous ont sauté aux yeux, entre les artistes mal rémunérés et mal considérés, les absurdités écologiques, notamment la surproduction et les livres à la fabrication douteuse, il n’en fallait pas plus pour nous convaincre de virer de bord et de monter un projet qui partait de nos valeurs: l’écologie, le respect de la nature et de notre environnement, la joie et la simplicité.

Sarah: J’ai un parcours scolaire très similaire à celui d’Angela: un amour précoce de la lecture, qui m’a orientée très vite vers des études de lettres (bac L, prépa et Master «métiers du livre»). J’ai eu la chance d’être embauchée chez Fleurus à la suite de mon stage de fin d’études: j’y ai ensuite passé pas loin de dix ans pendant lesquelles j’ai exploré toutes les facettes du métier d’éditrice, du travail avec les auteurs à la gestion des droits étrangers, en passant par la communication, la commercialisation ou même des aspects moins glamour mais essentiels, comme les budgets et les questions juridiques. J’y ai fait mes armes dans des domaines éditoriaux très différents: romans de l’imaginaire et albums de création chez Mango Jeunesse, adaptations de BD et dessins animés, livres d’activités et enfin documentaires, mon genre de prédilection! Mais toujours à destination des enfants, un public que je trouve particulièrement passionnant, car il nécessite de toujours se poser les bonnes questions lors du travail sur un livre, de ne jamais les sous-estimer, tout en mettant à leur portée des notions parfois compliquées.

Angela et Sarah de La cabane bleue
Sarah et Angela, deux femmes qui n'ont pas froid aux yeux à la tête des éditions La cabane bleue ! (© Tiphaine Rautureau)

Qui travaille à vos côtés?
La cabane bleue, c’est avant tout un collectif et un esprit d’équipe! Nous travaillons avec un super graphiste, Thomas Hamon, associé au projet, doté d’une solide expérience de pas loin de 10 ans dans l’édition jeunesse; avec une cheffe de fabrication écolo, Isabelle Gaudon, qui, du haut de ses 25 ans de métier et de ses engagements à toujours faire mieux, nous a beaucoup aidées à éco-concevoir nos livres; avec une agente de droits étrangers indépendante; et enfin avec des artistes formidables que nous associons tant à la création des collections qu’à la réflexion sur l’organisation de la maison et son fonctionnement.

Écologie et éthique: deux valeurs que défend La cabane bleue. Mais, concrètement, comment est-ce que cela se traduit dans vos démarches de fabrication, de diffusion et de rémunération des auteurs?
L’idée est de faire en sorte que nos livres, comme notre démarche, respectent l’humain, la planète et les êtres vivants qui la peuplent. Partant de là, il fallait concevoir nos livres pour qu’ils impactent le moins possible l’environnement: nous avons choisi de les faire imprimer en France, ils sont optimisés quant à leur format afin de ne pas laisser de place au gaspillage des matières premières, le papier est, bien sûr, certifié et il n’y a pas de pelliculage plastique sur la couverture. Nous avons choisi de ne pas faire appel à un diffuseur, afin de nous sentir libres de créer notre démarche commerciale à notre manière, de ne pas répondre aux exigences d’un système qui met à mal les libraires et qui surproduit. Cela nous permet de rester dans un temps long, pour que les livres aient une belle place sur les étagères des points de vente et qu’ils y restent longtemps. Nous participons au circuit court du livre en nous associant à des acteurs locaux (commerces indépendants, marchés, AMAP, librairies itinérantes), nous ne faisons pas de publicité intempestive et ne proposons pas de documents ou outils commerciaux éphémères, de type flyers ou PLV. De même avec les auteurs, il est nécessaire de travailler main dans la main: nous sommes tous acteurs du projet et avons tous des besoins et des idées! L’important, c’est donc de s’écouter et de créer ensemble, c’est ce modèle que nous avons choisi. Les contrats ont été écrits avec les auteurs eux-mêmes, rien n’a été imposé. Chez nous, pas de non-dit ni de tabou, la transparence est le maître-mot!

Le loup de Benoît Broyart et Evelyne Mary
Couverture et pages intérieures du «Loup» de Benoît Broyart et Evelyne Mary (© La cabane bleue)

Au mois de mai sont sorties en librairie vos trois nouveautés du printemps! Les deux premières, Le loup (de Benoît Broyart et Evelyne Mary) et La tortue de mer (de Benoît Broyart et Félix Rousseau) s’inscrivent dans la collection «Suis du doigt». Pouvez-vous nous présenter les spécificités de cette collection?
C’est une collection documentaire où l’on suit un animal dans son environnement grâce à différents chemins qui serpentent de page en page et que l’enfant emprunte lors de sa lecture. Selon le chemin qu’il choisit, il apprend des choses différentes sur l’espèce dont on parle et peut comprendre sa vie, son rôle au sein de notre écosystème et la nécessité de le protéger. Une sorte de livre dont tu es le héros adapté aux tout-petits, une façon de renouveler le genre du documentaire! La fiabilité de l’information étant aussi, pour nous, une composante essentielle d’un livre éco-conçu, qui dure et qu’on se transmet de génération en génération, nous avons fait appel, pour chaque titre, à un relecteur scientifique, spécialiste de l’animal dont il est question.

Le troisième titre se nomme L’arbre-lit. Il s’agit d’un album de fiction écrit par Silène Edgar et illustré par Gilles Freluche. Comment est né ce livre et de quoi parle-t-il?
Nous connaissions Silène la romancière ado et quelques magnifiques pépites dont elle est l’autrice. Je (Angela) la connaissais personnellement et nous partagions beaucoup de valeurs et de complicité. Quand La cabane bleue est née, elle m’a envoyé un texte d’album qu’elle avait écrit et que j’ai soumis à Sarah. Nous avons toutes les deux eu un coup de cœur pour son texte et sa plume, c’était une évidence de publier L’arbre-lit, un texte extrêmement poétique, qui parle de transmission et du cycle de la vie.

À peu près au même moment, nous avons fait la connaissance de Gilles Freluche, qui était en reconversion professionnelle vers l’illustration et partageait les valeurs que nous portions. Ses illustrations expressives et délicates nous ont beaucoup émues: nous tenions absolument à lui proposer un projet, et L’arbre-lit nous semblait coller parfaitement avec son univers.

L'arbre-lit de Silène Edgar et Gilles Freluche
Couverture et pages intérieures de «L'arbre-lit» de Silène Edgar et Gilles Freluche (© La cabane bleue)

«Mon humain et moi» est une autre collection prometteuse qui figure à votre catalogue. Pouvez-vous nous dire ce qui se cache derrière ce nom intrigant? Comment vous est venue cette idée originale?
C’est l’autrice Emmanuelle Grundmann qui nous a soumis une première version du futur Charles et moi, dont l’idée lui avait été inspirée par le poulpe de Darwin conservé au musée d’histoire naturelle de Londres. Nous avons adoré l’idée de donner la parole aux animaux, d’inverser les points de vue, en donnant à voir un humain célèbre par le prisme de l’animal. Avec cette collection de docu-fiction, on revient au sens premier du mot «écologie», qui met en lumière les relations entre les espèces et, ici, la complicité particulière qu’ont partagée un humain et un animal.

Pour le moment, la collection comprend un seul livre, à savoir Charles et moi (d’Emmanuelle Grundmann et Giulia Vetri) qui raconte la relation entre Aglaé, un poulpe commun, et le fameux naturaliste anglais Charles Darwin. Nous sommes très curieux de savoir quel sera le prochain duo que vous mettrez en avant…
Ce sera le grand Mozart et son bel étourneau! Il s’intitulera Wolfgang et moi et sortira en janvier prochain, sous la plume d’Emmanuelle encore une fois, mais avec une nouvelle illustratrice aux manettes, Olivia Sautreuil.

Charles et moi d'Emmanuelle Grundmann et Giulia Vetri
Couverture et pages intérieures de «Charles et moi» d'Emmanuelle Grundmann et Giulia Vetri (© La cabane bleue)

Le documentaire tient une place importante dans votre production. Pourquoi avoir choisi d’explorer ce genre en particulier? Faites-vous appel à des experts pour valider les informations contenues dans vos livres? Si oui, comment s’organisent ces collaborations?
Le documentaire est un genre qui permet de laisser parler sa créativité de manière folle, il autorise des chemins de traverse, des collaborations inattendues et de grands moments d’intelligence collective, autant dire que c’est un gros kiff en matière de création! C’est aussi un genre qui n’est pas simple à défendre par rapport à la fiction et, nous, on aime justement sortir des sentiers battus et œuvrer à la bibliodiversité (soyons honnêtes, il y a trop d’albums sur le marché et c’est très difficile de s’y retrouver!). En outre, c’est un genre où je (Sarah) suis particulièrement à l’aise, pour l’avoir exploré sous toutes ses formes quand j’étais chez Fleurus: malgré la concurrence des contenus numériques et autres réalités augmentées, le livre reste un outil formidable, un terrain de jeux génial à défricher, et il y a toujours de nouvelles choses à inventer pour rendre l’apprentissage ludique et interactif!

Pour ce qui est de la validation des contenus, outre l’expertise scientifique dont on a déjà parlé plus haut pour la collection «Suis du doigt», nous travaillons avec des auteurs, comme Philippe Nessmann ou Emmanuelle Grundmann, qui sont des pointures pour ce qui est des questions scientifiques et biologiques. Même s’il nous arrive d’aller vérifier certaines infos (c’est le rôle d’un éditeur!), nous leur faisons une confiance quasi aveugle sur le contenu documentaire.

À travers vos publications, on sent chez vous, Sarah et Angela, un véritable amour pour la nature et les animaux. Aussi, pour finir sur une note un peu plus personnelle, je vous propose de brosser votre «portrait chinois» sur le thème de la nature.
Sarah
Si j’étais un arbre, je serais… un tulipier de Virginie
Si j’étais un animal, je serais… un poulpe Dumbo
Si j’étais une fleur, je serais… une pâquerette
Si j’étais un site naturel, je serais… les sources de Pamukkale, en Turquie
Si j’étais un des cinq éléments (le bois, le feu, la terre, le métal, l’eau), je serais… le feu
Si j’étais une saison, je serais… le printemps

Angela
Si j’étais un arbre, je serais… un chêne centenaire
Si j’étais un animal, je serais… un grand panda
Si j’étais une fleur, je serais… un coquelicot
Si j’étais un site naturel, je serais… le jardin de Balata, en Martinique
Si j’étais un des cinq éléments (le bois, le feu, la terre, le métal, l’eau), je serais… l’eau
Si j’étais une saison, je serais… le printemps


Infos:
Site Internet de La cabane bleue