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«Image de l'Ouest»: une exposition des Maîtres de l'imaginaire en Chine

Depuis le 11 novembre 2020 et jusqu'au 5 mai 2021, le Tsinghua University Art Museum de Pékin accueille une importante exposition qui regroupe près de 200 œuvres appartenant à la Fondation Les Maîtres de l'imaginaire, créée à Lausanne par l'auteur-illustrateur Étienne Delessert en 2017. Cette exposition, intitulée «Image de l'Ouest: illustrateurs d'Europe et d'Amérique», a pour commissaire Janine Kotwica et a été organisée avec le concours de l'Ambassade de Suisse à Pekin. Les 41 artistes présenté·e·s font partie des plus grand·e·s illustratrices et illustrateurs des XXe et XXIe siècles; cinq d'entre elles et eux ont d'ailleurs été récompensé·e·s par le prestigieux prix Hans Christian Andersen pour l'ensemble de leur œuvre: Lisbeth Zwerger (1990), Jörg Müller (1994), Quentin Blake (2002), Roberto Innocenti (2008) et Albertine (2020). Étienne Delessert nous propose une «visite guidée» à distance en images et en mots!

Les Maîtres de l'imaginaire en Chine
Étienne Delessert
23 février 2021

En images...

Le Tsinghua University Art Museum de Pékin, qui accueille près de 200 œuvres des Maîtres de l'imaginaire, dévoilé en six clichés

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​​​​​L'impressionnant Tsinghua University Art Museum construit par Mario Botta. (© Xiao Fei/TAM)
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Le calme avant la tempête... de visiteurs ! (© Xiao Fei/TAM)
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Les visiteurs admirent les œuvres des Maîtres de très près lors du vernissage. (© Xiao Fei/TAM)

En mots...

Les Maîtres de l’imaginaire en Chine

Par les temps étranges que nous vivons surgit parfois le souvenir de notre enfance: alors que les arbres se tordaient en branches mystérieuses, que chaque goutte de pluie nous racontait son histoire et que les oiseaux inventaient des mélodies répétées de nos jours sur un portable.

À ce moment de notre vie nous regardions les fourmis construire leurs palais et les frelons tisser des fibres de bois en nids délicats. Nous participions intensément aux plus petits événements, parfois emportés dans de véritables drames. Nous racontions les histoires vécues dans nos rêves intimes. Notre imagination était nourrie par les oiseaux, les arbres et le bourdonnement des frelons.

En ces temps éloignés nous vivions les images narratives qui illuminaient les textes que nous aimions, nos peurs aussi. Nous choisissions des images si présentes que, parfois, comme adultes, elles reviennent à la mémoire, fraîches, drôles, puissantes: voilà l’esprit de nos illustrations.

François Mathey, qui dirigea dans les années 70 le musée des Arts décoratifs du Louvre (qui était alors le musée d’Art moderne de Paris) affirmait, et je le cite de mémoire: «il y a maintenant une nouvelle génération d’artistes graphiques qui peint et dessine pour des journaux et magazines, des affiches, des films d’animation et des livres pour enfants: ils sont vus par un large public. Ils veulent que leur art soit imprimé. Ils savent exprimer notre époque, et traduire les changements sociaux ou le chaos des médias. Ils peuvent, mieux que la plupart des artistes, trouver les mélodies qui forment notre pensée intime…»

Nous découvrons le pouvoir des mélodies. En musique, mais aussi le profil d’un bâtiment harmonieusement construit, qu’il soit palais ou ferme ancienne, ou encore dans un roman, une pièce de théâtre, un film ou un livre illustré pour enfants. L’histoire est y définie visuellement par quelques notes, la couleur bien campée et le son se reflète à jamais dans notre mémoire.

«Image de l’Ouest», exposition organisée en novembre 2020 par le Tsinghua University Art Museum, présente à Pékin 200 œuvres originales d’artistes parmi les plus réputés d’Europe et des États-Unis qui ont choisi d’exprimer leur propre mélodie par des dessins reproduits dans des albums pour enfants. Ils explorent chacun leur imagination de manière ô combien différente…

Destinée à durer trois mois, de novembre 2020 à fin janvier 2021, cette exposition vient d’être prolongée jusqu’en mai, vu son grand succès.

Les Maîtres de l’imaginaire est une fondation que j’ai créée en Suisse en 2017. Son but est de rassembler des dessins narratifs originaux, de les exposer, de les documenter, de les archiver, avec la claire vision d’augmenter cette collection au fil des ans, en particulier en Asie.

Organisée en Chine avec le support de l’Ambassade suisse à Pékin, et avec le concours de Janine Kotwica, cette exposition exprime la diversité de l’Art de l’Illustration, à un moment où l’on peut se demander si ces livres inspirés existeront encore dans quelques années, écrasés par la banalité de publications commerciales, effacés par les jeux vidéo et les stimulations des téléphones portables.

Étienne Delessert


En images...

Cinq artistes helvétiques à l'honneur à Pékin!

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Les Suissesses (de gauche à droite et de bas en haut): Monique FélixAlbertine et Eleonore Schmid. (© Les Maîtres de l'imaginaire)
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Et les Suisses (de gauche à droite): Étienne Delessert et Jörg Müller. (© Les Maîtres de l'imaginaire)

En mots...

Lettre aux artistes de la Fondation après le vernissage

Chers ami(e)s,

Notre exposition des Maîtres de l’imaginaire a ouvert ses portes à Beijing mercredi soir, 11 novembre. Elle est superbe!

J’aimerais décrire rapidement cette aventure…

Tout cela a commencé à Paris, voici cinq ans, par la présentation à l’Ambassade de Suisse de mon livre de mémoires L’Ours bleu, par Jean-Philippe Jutzi, l’attaché culturel. Son analyse était fine et amicale.

En 2019, j’ai appris qu’il était en Chine, et lui ai de suite parlé des Maîtres. Nous sortions de notre exposition du palais de Bologne.

«Cela tombe bien», m’a-t-il répondu, «en 2020 seront célébrés les 70 ans de bonnes relations bilatérales entre la Suisse et la Chine». Il nous a donc associés à un programme culturel vaste (c’était avant Covid-19…) qui comprenait une exposition de Giacometti, une autre de Tinguely et la venue d’œuvres de la collection Dubuffet du Musée de l’Art Brut de Lausanne.

M. Jutzy a d’abord choisi le Today Art Museum de Beijing, puis à la suite de négociations avec le gouvernement chinois, a désigné le prestigieux Tsinghua University Art Museum pour nous accueillir. Ils avaient déjà collaboré harmonieusement avec l’Ambassade. Et j’eus alors la belle surprise d’être invité par le musée à avoir une section de l’exposition consacrée à mes œuvres. 100 œuvres de la Fondation, 80 pour ma partie.

Janine Kotwica a été d’une aide précieuse, tout au long d’une année fertile en menus problèmes, en tant que commissaire, par ses contacts, ses conseils, sa précision dans les crédits, l'élan de ses textes. L’exposition, prévue pour le mois de juillet, a été repoussée deux fois par le virus (qui semble bel et bien dompté à Beijing, mais personne n’entre encore en Chine). En Suisse, Laurent Seigneur, membre du Conseil, a suivi notre parcours avec vigilance, je l’en remercie aussi.

Un catalogue ne pouvait être préparé: il faut un an au Ministère de la Culture chinois pour délivrer un code ISBN...

Et le musée a fait un choix de vingt images, sur une centaine, pour imprimer des cartes postales. Impensable! Nous avons dû, de ce fait, imprimer une édition limitée de 250 jeux de cartes en Suisse, pour que chacun des 41 artistes soit représenté; ils sont d’un usage limité à la communication et les médias… Imprimés en août, ils ne sont partis enfin pour vous que cette semaine, l’accès du local où ils étaient entreposés dans le bâtiment officiel de notre partenaire HEP étant interdit, encore et encore, par Covid-19. Par chance une centaine de boîtes avaient été livrées à Berne par l’imprimeur: elles furent envoyées en Chine par la valise diplomatique.

Tout au long de notre collaboration, nous avons pu réaliser que la Chine… est un autre monde. Les meilleures intentions sont parfois bridées par un système d’une fermeté feutrée mais inflexible.

Dans le choix des œuvres, par exemple. Le Ministère de la Culture, à qui elles devaient être toutes présentées, en a censuré quatre, de Marshall Arisman et de Jean-Louis Besson. Sans réelle logique. Elles furent donc remplacées.

L’affiche est une autre histoire (elle sera agrandie au format de 9 mètres sur 12, près du musée, à l’entrée de la Tsinghua Université de grande renommée. Deux de nos propositions furent écartées, et quelle ne fut pas notre surprise de constater que le graphiste du musée avait emprunté des éléments de trois de mes dessins, et les avait interprétés à sa manière. Je n’ai pas souvent ce genre de conflit, mais j’ai perdu cette bataille: c’était il y a un mois à peine, les œuvres étaient alors mises en caisse, il fallait céder pour qu’elles partent. 

Le choix des œuvres pour les deux flyers est entièrement celui du Tsinghua.

Je ne vais pas entrer dans les détails, mais le transport fut retardé considérablement: nous refusions de laisser les dessins partir sans avoir vu leur contrat d’assurance signé. Rien d’anormal, m’a-t-on dit, la bureaucratie…

Et l’exposition a bien failli ne pas avoir lieu: on ne pouvait accepter d’utiliser un Carnet ATA, qui garantit un passage de douane normal (mais qui nous aurait obligés à débourser près de 200 000 euros, remboursés, en principe, par le gouvernement chinois au retour des œuvres). Tout cela se passait il y a moins d’un mois, et fut assez tendu – j’ai annoncé bloquer le transport! Donc pas d’exposition...

Et nous avons appris, comme par miracle le lendemain, que le Ministère de la Culture allait obtenir un passage de douane en douceur.

Rien n’est simple, les collaborateurs du musée désespéraient un peu, tout en observant avec calme les normes du pays. Un autre monde… Je veux remercier Wang Ying, Sysy Hu au Tsinghua, et Congcong Che à l’Ambassade (Jean Philippe Jutzi a pris sa retraite) pour toute leur attention et leur enthousiasme.

Mercredi 11 novembre cette équipe du musée, travaillant jour et nuit la dernière semaine, a eu la joie de vernir notre exposition, en présence d’un public d’invités choisis et de 30 représentants de différents médias.

L’Ambassade suisse était fort bien représentée, que je remercie pour son support. Il se trouve que nous sommes la seule manifestation artistique visuelle à avoir bravé le virus, en cette année de 70 ans de reconnaissance pacifique. Giacometti et les autres ont été repoussés à…?

Et il faut bien dire que ce sont vos œuvres qui ont soutenu, par leur qualité et leur diversité, le moral des troupes chinoises, françaises et suisses… L’Art de l’Illustration, Art à part entière dans un magnifique musée.

Voici quelques reflets de la manifestation, Ils éclairent d’une belle lumière nos efforts pendant une longue année. Les photos sont toutes de Xiao Fei, du TAM. 

Avec ma gratitude, celle de Janine et de la Fondation.

Bien amicalement,

Étienne Delessert


En images...

Quelques-unes des œuvres d'artistes européens et américains montrées à Pékin

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Entre chiens et loups (de g. à dr.): des images d'Ivan Chermayeff, Claude Lapointe et Sarah Moon. (© Les Maîtres de l'imaginaire)
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«Casse-Noisette» par Roberto Innocenti (à g.) et Lisbeth Zwerger (à dr.). (© Les Maîtres de l'imaginaire)
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Tête coupée de bébé-clown chez Nicole Claveloux (à g.) et tête timbrée chez André François (à dr.). (© Les Maîtres de l'imaginaire)
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Une grenouille qui voulait voir la mer très «à l'italienne» par Guy Billout. (© Les Maîtres de l'imaginaire)
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À gauche: des fleurs sous le soleil par Alain Le Foll; à droite: des petits soleils dans les champs entrevus lors d'un long voyage... par Laurent Gapaillard. (© Les Maîtres de l'imaginaire)
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Oiseau à terre et scène volante: images de Marshall Arisman (à g.) et Frédéric Clément (à dr.). (© Les Maîtres de l'imaginaire)

Liste des 41 artistes exposés:
AlbertineMarshall ArismanJean-Louis BessonGuy Billout, Quentin Blake, Robert Oscar Blechman, Eric Carle, Ivan Chermayeff, Seymour ChwastNicole ClavelouxJean Claverie, Frédéric ClémentEtienne Delessert, Heinz Edelmann, Stasys Eidrigevičius, Randall Enos, Monique FélixAndré François, Letizia GalliHenri GaleronLaurent GapaillardAlain GauthierRoberto InnocentiGary KelleyClaude LapointeAlain Le FollGeorges LemoineDavid Macaulay, Daniel MajaSarah MoonJörg Müller, Yan Nascimbene, Chris Payne, Jerry Pinkney, Zack Rock, Eleonore SchmidChris Sheban, Elwood Smith, David Wiesner, Zaü et Lisbeth Zwerger.


En images...

Étienne Delessert s'est vu consacrer une partie entière de l'exposition. Voici quelques images que le public peut admirer.

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La partie du musée réservée aux œuvres d'Étienne Delessert (© Xiao Fei/TAM)
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Des visages connus aux plus obscurs... (© Les Maîtres de l'imaginaire)
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Des plumes sous le pinceau et le crayon de Delessert (© Les Maîtres de l'imaginaire)
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Comment ne pas aimer lire lorsque Delessert illustre Ionesco? (© Les Maîtres de l'imaginaire)