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Excursion guidée du côté de la littérature Young Adult et de la culture manga

Un compte-rendu des ouvrages La littérature Young Adult, de Laurent Bazin, Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise Pascal, 2019 et La culture manga: origines et influences de la bande dessinée japonaise, de Bounthavy Suvilay, Clermont-Ferrand: Presses universitaires Blaise Pascal, 2021.

Excursion guidée du côté de la littérature young adult et de la culture manga
Amandine Gachnang
8 décembre 2021

Les Presses universitaires Blaise Pascal proposent, avec la collection «L’Opportune», de décrypter les grandes thématiques de notre société dans des ouvrages de 64 pages, rédigés par des chercheurs·euses universitaires et donnant les clés essentielles de la compréhension d’un sujet. Ceux qui vont nous intéresser ici sont la littérature Young Adult (étudiée par Laurent Bazin) et la culture manga (analysée par Bounthavy Suvilay).

Couvertures de Litterature Young Adult et La culture manga
Les couvertures de «La littérature Young Adult», de Laurent Bazin et «La culture manga: origines et influences de la bande dessinée japonaise», de Bounthavy Suvilay. (©Presses universitaires Blaise-Pascal).

Ces deux thèmes ont en commun qu’ils concernent un genre littéraire qui n’en est pas vraiment un, puisqu’on trouve des mangas fantastiques, d’épouvante, de science-fiction, d’aventure, de comédie romantique, etc., ce qui est également vrai pour les romans Young Adult. Ils représentent donc une catégorie plus globale rassemblant de nombreux sous-genres. Ainsi que le remarque Laurent Bazin: «Comme toutes les littératures destinées, la fiction Young Adult a la particularité de se définir d’abord en fonction de son public et ensuite seulement par ses genres, formes et contenus.» (p. 9). Le manga, quant à lui, se définirait par son origine, comme le laisse supposer le sous-titre choisi par Bounthavy Suvilay: «Origines et influences de la bande dessinée japonaise». Mais est-ce vraiment le cas? En réalité, ces catégorisations sont poreuses. Le lectorat concerné par le genre Young Adult reste flou, Bazin notant qu’en Amérique, il s’adresse aux adolescents âgés de 12 à 18 ans, tandis qu’en France, il couvre un lectorat plus vaste englobant les jeunes de 12 à 18 et de 18 à 25 ans. Par ailleurs, la catégorie Young Adult regroupe plusieurs types de textes: ceux conçus à l’origine pour les jeunes lecteurs, ceux initialement destinés à des adultes mais réédités par la suite en les requalifiant et ceux adressés à un lectorat aussi large que possible. De plus, on constate chez les lecteurs une habitude de crossover ou cross-age, c’est-à-dire une tendance à lire des récits conçus pour une autre tranche d’âge que la sienne. En effet, comme le souligne Laurent Bazin, suite à l’engouement exceptionnel qui accompagna la publication du premier volume de la saga Harry Potter en 1997, les adultes se sont également tournés vers la littérature jeunesse. De son côté, Bounthavy Suvilay relève la parution d’œuvres hybrides, réalisées par des artistes non japonais fortement inspirés par les codes graphiques et les thèmes du manga. En France par exemple, on parlera de «manfra», contraction de «manga» et de «français». Et les lecteurs des bandes dessinées japonaises non plus ne veulent pas se laisser enfermer dans des cases, qu’elles concernent leur âge ou leur genre. Suvilay explique qu’au début du XXe siècle, les mangas ont commencé à être publiés dans des magazines spécialisés différenciés en fonction des publics mais que, dans les faits, ces derniers ne suivent pas forcément cette catégorisation, car des histoires destinées aux jeunes filles attirent souvent un lectorat masculin, et vice versa. Nous avons donc ici affaire à des «genres» pleins de nuances, autant dans leurs contenus que dans leur sphère éditoriale, ce dont les deux ouvrages font très bien état.

La composition de ces derniers est assez semblable (une section est consacrée à l’histoire du genre, une autre à ses publics cibles, et une autre encore à ses contenus) mais les structures et points de vue qu’ils adoptent diffèrent. Laurent Bazin découpe son analyse en trois temps: d’abord une approche historique du monde éditorial (naissance et évolution de la littérature jeunesse; comment en arrive-t-on à parler de littérature Young Adult et non pas de romans ados par exemple; classification en genres), puis un regard sociologique (considérations sur l’adolescence et plus particulièrement sur celle du Troisième Millénaire; reprise du pouvoir des jeunes sur la littérature qui leur est destinée; création de communautés de lecture et d’écriture) et enfin une analyse plus psychologique (les romans Young Adult permettent de trouver des réponses à ses questionnements existentiels dans les univers fictionnels; de trouver un miroir à ses préoccupations quant à son corps, que ce soit au niveau des pressions des canons de beauté, du genre ou de la sexualité; d’affronter les restrictions imposées par la réalité quant à la manière dont un sujet s’inscrit dans son environnement [Je, Ici, Maintenant] en lui opposant la toute-puissance de l’imagination; d’analyser les relations d’un sujet – et, partant, les siennes – avec ceux qui l’entourent). Les parties sociologiques et psychologiques sont parfois un peu plus «bancales», car portant légèrement trop sur des généralités sociales comme l’idée que l’adolescence est un moment de crise et de questionnement. Les propos tenus contiennent bien sûr leur part de vérité et de tendresse, mais on peut se demander s’ils ont réellement leur place ici. Néanmoins, cela n’enlève rien à la qualité de l’ensemble.

Bounthavy Suvilay débute son étude sur l’histoire du manga. Elle aborde ses ancêtres, son processus de publication, son utilisation au-delà du divertissement (la bande dessinée est instrumentalisée par les institutions pour rendre leur message plus attractif et valorisée en tant que vecteur de l’expression artistique du pays, utilisée pour toutes sortes de formes de communication, autant dans les documents officiels pour illustrer des consignes de sécurité que pour la promotion d’entreprises) et la restructuration du marché qu’a provoqué l’arrivée des différents médias (dessins animés, jeux vidéos, objets dérivés, etc.). Dans une deuxième partie, la chercheuse observe l’impact des conditions de production sur les œuvres, c’est-à-dire ce qui fait la véritable spécificité du manga: la manière dont son système de publication influence sa narration, son découpage ou encore sa mise en pages. Ce chapitre se révèle le plus intéressant pour qui veut mieux comprendre comment aborder le manga. Prenons par exemple un élément caractéristique de son style graphique: les yeux souvent démesurés des personnages. Ils pourraient sembler n’être qu’un effet de style justement, une fantaisie inventée par les mangakas pour se démarquer. Nous apprenons ici qu’il n’en est rien et que les codes de la bande dessinée japonaise sont souvent porteurs de sens. Bounthavy Suvilay termine son propos par l’analyse des synergies entre le manga et les autres industries culturelles et aborde la réception et l’influence de la bande dessinée japonaise à l’étranger. Documenté de nombreux exemples, cet ouvrage est riche et offre des perspectives très intéressantes sur ce «genre» qui peut sembler encore très exotique, bien que désormais profondément ancré dans la culture occidentale. Petite remarque cependant: le texte se montre très pointu à certaines occasions et, tous les lecteurs n’étant pas des spécialistes du Japon, il faut parfois bien se concentrer ou faire quelques recherches.

Il est intéressant de relever les similitudes rapprochant les deux «genres» qui parcourent les présents ouvrages. On peut relever principalement le fait que les éditeurs recherchent les nouvelles stars du manga et des romans Young Adult sur Internet et les plateformes d’écriture qui y florissent, et souvent auprès des jeunes eux-mêmes. Les deux catégories d’œuvres font également office de signes de reconnaissance de communautés. Autre point commun, elles évoluent selon un même schéma préférentiel: la série, dont la construction échelonnée dans le temps permet aux lecteurs et aux héros de grandir de concert. De ce phénomène naît une connivence, une identification, qui poussent les lecteurs à adopter des pratiques de fans, comme pour une star de la musique ou du cinéma. Les maisons d’édition de manga et de littérature Young Adult adaptent ainsi leur politique éditoriale en la conjuguant à une promotion commerciale, la vente de produits dérivés et la création d’adaptations (cinématographiques ou en animes) devenant indissociable de la parution d’un nouveau tome. Cette stratégie marketing ne joue pourtant pas forcément en faveur du secteur de la bande dessinée imprimée au Japon. En effet, elle y connaît un déclin, contrairement à la littérature Young Adult en France, qui, selon Laurent Bazin, y représente 43 % de l’édition jeunesse. Une des raisons exposées par Bounthavy Suvilay est que, comme le public a déjà accès à ces adaptations, il n’a alors pas forcément besoin de lire les mangas originaux pour connaître les univers fictionnels qu’ils ont inspirés. Celles-ci font donc connaître leurs histoires à plus large échelle, mais ne se tirent-elles pas également une balle dans le pied, la source même de ces récits étant peut-être vouée à disparaître? Ceci est musique d’avenir, mais ce qui est sûr, c’est que nos deux petites publications nous donnent à réfléchir sur des «genres» que l’on connaît, nous les font voir sous de nouveaux angles ou alors nous donnent envie de les découvrir.

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