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Bordeaux: le Festival Gribouillis apprend l’alphabet avec la «peintre de romans» Beatrice Alemagna

La rétrospective «Alphabet Alemagna», née à Bologne, est visible à Bordeaux jusqu’au 1er octobre. Les éditions La partie ont publié une version française du catalogue.

Beatrice Alemagna
Dominique Petre
21 septembre 2023

En parallèle de la rentrée des classes s’est ouverte à Bordeaux, dans le majestueux espace Saint-Rémi (une église du XIe siècle transformée en lieu culturel), l’exposition «Alphabet Alemagna». Rien à voir avec l’Allemagne mais beaucoup avec l’Italie, puisqu’elle est dédiée à l’artiste Beatrice Alemagna et provient de Bologne. L’association Hamelin (qui entend charmer les enfants avec des livres comme Hamelin les rats avec sa flûte) avait monté cette première grande rétrospective à l’occasion de la dernière Foire du livre pour enfants de Bologne.

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Le Festival Gribouillis avec son beau logo dessiné par Jochen Gerner; Sophie Van der Linden, Beatrice Alemagna et Sarah Vuillermoz à Bordeaux (© Dominique Petre)

L’autrice-Illustratrice italienne la plus connue
«Beatrice Alemagna est certainement l’autrice-illustratrice italienne la plus connue internationalement», explique Ilaria Tondardini de l’association Hamelin. «Nous avons convenu avec elle que notre exposition ne serait pas chronologique, même si elle se terminerait par Adieu Blanche-Neige. Ce qui nous tenait particulièrement à cœur? Les espaces, la narration, les personnages et les choses».

Avec plusieurs centaines d’originaux et des conditions plutôt privilégiées – Bologne n’est pas seulement le rendez-vous annuel international de l’illustration jeunesse mais aussi la ville natale de Beatrice Alemagna – l’exposition «Alfabeto Alemagna» a été montrée à la Fondazione del Monte. Elle a connu un grand succès public: «Rien que le premier mois, nous avons comptabilisé 4000 visiteurs et visiteuses», poursuit Ilaria Tondardini. «Et lors de la Foire du livre jeunesse, des invités de marque comme Chris Ware sont venus voir l’exposition». De nombreux enfants – autres invités de marque – ont également pu en profiter, notamment lors de visites guidées par des étudiantes de l’académie des Beaux-Arts.

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Ilaria Tondardini de l’association Hamelin et une visite d’enfants avec Lisa Trombetti dans l’expo à Bologne (© Dominique Petre) 

Version française au Festival Gribouillis
À Bordeaux, l’exposition «Alphabet» est montrée jusqu’au 1er octobre par le Festival Gribouillis qui vient de fêter sa troisième édition. Les deux commissaires de la première grande rétrospective Beatrice Alemagna sur le territoire français, Sophie Van der Linden et Sarah Vuillermoz, ont pris les ingrédients de Bologne mais repensé l’exposition par rapport au nouveau lieu, nettement plus spacieux. Le catalogue a été traduit de l’italien par Pauline Allard et publié par les éditions La partie. La construction alphabétique de Hamelin a été conservée: a comme animaux ou comme absence, m comme maîtres ou comme matérialité, n comme nature ou t comme textures. Il est possible de suivre la genèse des albums puisque de nombreux originaux et de multiples esquisses sont exposés. Un peu comme si l’on entrait dans l’atelier de Beatrice Alemagna et on que l’on observait sa manière de chercher (en italien l’exposition portait le sous-titre «l’obstinée recherche») puis d’illustrer une histoire.

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La belle affiche au début de la rue Jouannet annonce l’exposition «Alphabet» à l’espace Saint-Rémi à Bordeaux (© Dominique Petre; © William Maud, Festival Gribouillis)

À huit ans, elle veut devenir «peintre de romans»
À huit ans, Beatrice Alemagna sait déjà ce qu’elle veut faire plus tard: «peintre de romans». En 1997, ce vœu se réalise quand elle publie Une maman trop pressée aux éditions du Seuil. Elle est venue à Paris un an plus tôt car elle a remporté un concours organisé par le Salon du livre SLPJ de Montreuil. Sa ville d’adoption lui inspire Un lion à Paris, l’histoire d’un étranger qui arrive quelque part et doit trouver sa place, tout comme l’Italienne Beatrice Alemagna a trouvé la sienne en France où elle habite encore aujourd’hui. «Un lion à Paris, c’est mon hommage à la ville qui m’a permis de concevoir des affiches pour le centre Pompidou puis de publier des livres», explique l’autrice avec reconnaissance.

Beatrice Alemagna a fait une école de graphisme éditorial mais se voit depuis toujours comme une autodidacte de l’illustration: «J’ai suivi une seule école et c’est la mienne», explique-t-elle lors de la rencontre au Festival Gribouillis. «Je me suis dit qu’avec chaque livre je me donnerais un défi, quelque chose de nouveau à apprendre.»

Un de ses grands succès, Le merveilleux Dodu-velu-petit est né ainsi: «Ce qui me faisait peur, c’était d’aller dans le sens d’une narration classique. Mes précédents albums étaient des rêveries comme Après Noël ou des réflexions comme C’est quoi un enfant?. L’histoire a été très difficile à écrire pour moi mais le schéma narratif explique sans doute le succès de l’album».

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Deux gros succès de Beatrice Alemagna, «Le merveilleux Dodu-velu-petit» et «Les choses qui s’en vont» autour d’un original pour «Lotta la filoute» visible dans l’exposition (© Albin Michel Jeunesse; © Dominique Petre; © Helium) 

Fascinée par les enfants
Beatrice Alemagna ne s’explique pas pourquoi l’album Che cos’è un bambino? a bien mieux marché en Italie que ne l’a fait sa traduction C’est quoi un enfant? en France. «En Italie, le livre est devenu un classique», commente-t-elle, «un cadeau que l’on fait à la naissance». L’autrice-illustratrice se dit «fascinée par les enfants» et a senti une fracture dans son travail lorsqu’elle est elle-même devenue mère. «Pendant dix ans, je m’étais adressée à l’enfant qui sommeillait en moi. Avec mon premier enfant est venu le vrai dialogue avec l’autre». Le premier album qu’elle conçoit après la maternité est un cartonné, Bon voyage bébé!. «Au début, mes livres étaient un prétexte pour publier mes dessins. Ensuite est apparue l’idée d’amuser le lecteur ou la lectrice». La perception de ses livres l’ont parfois surprise: «Les choses qui s’en vont est vu comme un album sur la fin de vie, Les cinq malfoutus comme une réflexion sur le handicap. Ce n’était pas mon intention au départ mais c’est très bien.»

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Une reproduction en grand de Pascaline (héroïne de «Même pas en rêve!») et de ses petits parents, photographiée à Bordeaux, les planches de «C’est quoi un enfant?» photographiées à Bologne (© Dominique Petre)

On va au parc et Adieu Blanche-Neige
Beatrice Alemagna considère plusieurs de ses albums comme d’importantes marches franchies dans sa carrière. On va au parc en fait partie. «Je suis de nature catastrophique», avoue l’autrice-illustratrice au Festival Gribouillis, «pendant le confinement, je voyais les parcs vides d’enfants et j’étais persuadée qu’ils ne se rempliraient plus jamais de vie. À partir de dessins postés sur mon compte Instagram, l’autrice suédoise Sara Stridsberg a écrit un texte. J’adore la manière dont cet album est né et j’adore cet album».

Les illustrations d’Adieu Blanche-Neige n’ont pas non été conçues pour former un album. «Je ressentais le besoin de peindre», relate Beatrice Alemagna lors de la rencontre avec Sophie Van der Linden à Bordeaux. «Je suis partie de la première version des frères Grimm, très sombre, une histoire qui raconte aussi la vengeance de Blanche-Neige vis-à-vis de la marâtre. J’ai littéralement dégouliné dans mes dessins, larmes, sang, sueur, eau… Tout est liquide dans ces peintures qui n’étaient pas destinées à être publiées. Mais l’éditrice de La partie Béatrice Vincent, après les avoir découvertes dans mon atelier, a insisté pour en faire un album».

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Les sept nains comme on ne les avait jamais vus et des secrets de la mer mis en boîte par Beatrice Alemagna (© «Adieu Blanche-Neige», Beatrice Alemagna, La partie; © Dominique Petre) 

Petites collections et grandes épopées
Quant aux mini-collections dans des boîtes en fer présentées à Bologne et à Bordeaux, elles ont été à l’origine conçues dans le cadre d’une autre exposition intitulée «Histoires en boîtes». «C’est une forme d’expression pas si éloignée du livre», poursuit la peintre collectionneuse. «Des boîtes comme Éléments naturels bizarres, Histoires d’écolier ou Secrets de la mer racontent des micro-histoires. Or j’ai appris avec Tomi Ungerer que les micro-histoires sont, pour les enfants, de grandes épopées».

Dans son (admirable) album Un grand jour de rien, Beatrice Alemagna raconte comment un garçon découvre peu à peu autour de lui un environnement magique, une vie fourmillante qui se cache dans les détails. Une expérience similaire peut se faire au milieu des œuvres et esquisses d’«Alphabet». Grazie Hamelin et merci Gribouillis pour Une grande exposition de tout.

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