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«Bon-jour Ma-dame Ro-gier!»

Françoise Rogier
Dominique Petre
19 mars 2018

Françoise Rogier explique dans des grandes classes de maternelle sa technique préférée de la carte à gratter ainsi que son obsession pour les loups et les cochons. Une illustratrice belge francophone à suivre.


«Bon-jour Ma-dame Ro-gier!». Comment ne pas craquer lorsqu’on est accueilli de manière tonitruante par une classe entière à 8h30 du matin? «Ma-dame Ro-gier» se prénomme Françoise, elle est illustratrice et elle a été invitée dans le cadre des «auteurs à l’école» du Lycée français Victor Hugo de Francfort pour animer trois ateliers de cartes à gratter en maternelle.

Françoise Rogier est née en 1966 à Liège en Belgique. Quand elle explique à la première classe qui la reçoit qu’elle a «un demi-siècle», les enfants la dévisagent comme si elle datait de la préhistoire. L’illustratrice a grandi à Bruxelles et fait des études à l’atelier de communication graphique de l'Ecole nationale supérieure des arts visuels (ENSAV) de La Cambre. «L’illustration était alors associée à l’atelier de gravure, or je n’avais pas envie de passer cinq ans à faire de la gravure. J’ai donc préféré m’inscrire en graphisme, aussi parce que les débouchés professionnels me semblaient plus prometteurs», explique-t-elle.  Elle a cours avec Luc Van Malderen, «un très bon pédagogue qui laissait à chacun trouver son style». Quand elle sort de «La Cambre», Françoise Rogier se cherche encore: «contrairement à d’autres, je n’avais pas encore “ma patte”», constate l’illustratrice.

Une longue carrière de graphiste en agence et beaucoup d’emballages.
Diplômée, elle travaille pendant plus de vingt ans dans le packaging en agence, créant des emballages pour les supermarchés GB ou pour L’Oréal.  À Francfort, elle a pris avec elle un paquet qu’elle a réalisé en 2000 pour de la crème glacée. Les élèves sont très impressionnés, mais impossible de savoir si c’est à cause du paquet ou ce qu’il a contenu.

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Françoise Rogier réalise aussi des dépliants et crée des logos. «Ce métier m’a permis d’apprendre à connaître les possibilités de l’infographie», commente-t-elle. «On était cadenassés par les consignes du marketing mais parfois, les contraintes stimulent la créativité

Si elle a choisi une voie créative, c’est peut-être grâce à l’éducation de ses parents: «L’ambiance était soixante-huitarde, on poussait les enfants à s’exprimer. A la maison nous avions une salle de jeux où nous pouvions peindre sur les murs», se souvient-elle. A-t-elle suivi l’exemple pour ses propres enfants? «Eh bien pas vraiment», avoue-t-elle en riant. «Ils ont bien sûr le droit de dessiner dans notre espace atelier, mais toujours sur du papier. Nous habitons un loft qui n’offre que peu de murs…». Françoise Rogier vit avec son mari Thomas, enseignant en arts plastiques, et trois adolescents de 12, 14 et 16 ans, deux filles et un garçon.

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C’est grâce à ses enfants qu’elle a «recommencé» à s’intéresser au livre jeunesse. «En fait c’est un concours de plusieurs circonstances: j’avais moins de travail à l’agence pour laquelle je travaillais en freelance, j’avais envie de redessiner, et un jour mon ordinateur est tombé en panne». En colère contre la technique, Françoise Rogier retrouve avec plaisir la fiabilité des crayons et du papier. «C’est ridicule de dire cela parce en fait je travaille toujours avec l’ordinateur», avoue-t-elle. «Et puis je n’avais pas vraiment arrêté de dessiner. En vacances,  je remplissais des carnets entiers de croquis».

Créer une image sans contraintes est loin d’être simple.
Mais elle se rend compte que créer une image sans aucune contrainte n’est pas si simple. «Mes premiers essais ne m’ont pas convaincue», sourit-elle. Elle s’inscrit donc à des cours de dessin donnés par Kitty Crowther, d’abord un stage d’une semaine en Gaume puis des cours à Bruxelles une journée par mois. «Le centre du Wolf, où se déroulaient les cours, venait d’être inauguré, alors nous sommes partis du thème du loup», explique Françoise Rogier. «J’ai pensé que l’on pourrait renverser les rôles et expliquer que le loup joue au petit chaperon rouge.» Une première ébauche et quelques crayonnés plaisent à Kitty Crowther. Il existe d’innombrables versions du conte de Perrault mais celle-là est inédite.

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Françoise Rogier continue à suivre des formations, par exemple avec Dominique Maes: «A son cours d’illustration on avait retravaillé la carte à gratter et je me suis dit que c’était une technique qui conviendrait à l’histoire».  Elle reste penchée sur son histoire du petit chaperon rouge revisité pendant une bonne année. Par hasard, elle tombe sur un concours organisé par la revue Hors cadre[s]: «Ils proposaient à des personnes n’ayant encore jamais été éditées le thème du détournement d’un conte. Cela tombait à pic».

Avec C’est pour mieux te manger!, Françoise Rogier remporte le premier prix.
Elle qui avait des difficultés à mettre un point final à son projet accueille presque avec reconnaissance le délai à respecter obligatoirement. Et elle remporte le premier prix du concours! Son histoire, C’est pour mieux te manger!, est d’abord éditée sous forme d’un mini-livre puis d’un album aux éditions L'atelier du poisson soluble. Pas de changement dans l’histoire lors de ce passage au véritable album, si ce n’est au niveau de la couverture: «Un loup prêt à se jeter sur quelqu’un, c’était trop effrayant».

Dès la première phrase de l’album, Françoise Rogier annonce la couleur: «Il était encore une fois un petit chaperon rouge…», mais surtout, elle montre son talent pour détourner avec humour et originalité une histoire que tout le monde connaît par cœur.

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Son deuxième livre est un abécédaire du conte, un projet qui plaît à Laurence Nobécourt, alors en train de monter sa maison d’édition A pas de loups. «J’avais fait très peu mais le concept de base de l’album lui a plu et elle s’est engagée à le publier», explique Françoise Rogier. Les contes de A à Z plaisent également au Lycée français de Francfort même si peu d’enfants connaissent l’âne qui dort sur la première page, celle du A. Peau d’âne serait-il passé de mode? À la lettre B, un élève s’enquiert de savoir «si des bottes de sept lieues, cela existe vraiment» car marcher le fatigue beaucoup. À la lettre C, un enfant évoque les créneaux de la tour de garde, un élément présent sur l’illustration mais absent du lexique… «Ce terme-là, j’avoue que je l’ai oublié», admet l’illustratrice visiblement épatée par la pertinence de la remarque.

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Petite, les contes que lui lit son père et les trophées de chasse de son grand-père la fascinent.
Son amour des contes et du loup remonte peut-être lui aussi à son enfance: «Mon père aimait beaucoup la littérature, il nous lisait des auteurs classiques et aussi les contes de Perrault et des frères Grimm, que je trouvais captivants». Petite, elle passe souvent ses vacances chez ses grands-parents dans les Ardennes belges. Le grand-père étant chasseur, la maison est pleine de trophées empaillés, que la petite Françoise ne se lasse pas d’observer. «Rien que leur nom de “massacres” me fascinait», commente-t-elle.

Comme C’est pour mieux te manger! remporte le Prix Wallonie-Québec en 2013, le Ministère belge francophone de la culture lui commande une nouvelle histoire. C’est Un tour de cochons, qui sort d’abord sous forme de mini-livre tout en hauteur avant de devenir lui aussi un «vrai» album grâce à l’éditeur A pas de loups. «J’ai beaucoup apprécié travailler la verticalité», explique Françoise Rogier, «et certains éléments nouveaux sont apparus dans l’album, le loup par exemple a gagné en importance». Ce livre est le «bestseller» des éditions A pas de loups. Ici aussi, Françoise Rogier revisite avec une bonne dose d’espièglerie l’histoire des trois petits cochons et de la construction de leurs maisons. Car eux aussi, ils connaissent bien l’histoire…

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Suivent deux commandes un peu particulières: celle de l’Académie de Bordeaux pour illustrer un livre CD en occitan du célèbre conte La soupe au caillou et celle de l’éditeur L’Harmattan pour mettre en image un Etrange safari au musée de Tervuren écrit par Marleen Cappellemans. On accompagne Lucien, fils du conservateur, dans les différentes salles du musée royal belge de l’Afrique centrale. «J’ai adoré l’atmosphère un peu désuète du musée de Tervuren rempli d’animaux empaillés», commente Françoise Rogier, qui réalise sept illustrations en noir et blanc pour ce guide pour enfants à partir de huit ans.

Un cochon, trois oursons, un crapaud ou un canard?
Son quatrième livre est écrit par Clémence Sabbagh et publié par A pas de loups. Rose cochon aborde avec humour la question du choix d’un animal de compagnie. Héloïse hésite entre un cochon, trois oursons, un crapaud ou un canard... ici aussi, on retrouve l’animal de prédilection de Françoise Rogier et l’inspiration des contes.

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Elle met un an à faire un album «d’un anniversaire à un anniversaire», explique-t-elle aux enfants à Francfort. Son petit dernier, Picoti… tous partis?, est tiré à 55 000 exemplaires et distribué gratuitement, à partir d’octobre 2017, dans le cadre de La Fureur de lire et du Plan Lecture aux enfants des classes d’accueil ou de première maternelle en Belgique francophone. Le livre, dont l’histoire s’inspire de la comptine Une poule sur un mur qui picote du pain dur est accompagné d’un fascicule pédagogique. Madame Poule est inquiète car ses petits ont quitté le nid. Partie à leur recherche dans la forêt, elle entend une voix qui proclame «Je vais vous manger!». Le loup et le danger ne sont peut-être pas loin.

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«La proposition de la Fédération Wallonie Bruxelles de travailler une histoire pour petits à travers une comptine ou des rimes m’a séduite», explique Françoise Rogier, «enfant, j’adorais chanter.  J’avais dessiné précédemment une poule pour La Soupe aux cailloux et revenir sur cette figure maternelle – qui est aussi paternelle avec le “papa poule” – m’amusait». Les personnages sont des animaux de ferme, seul le loup porte un pantalon rouge. «Un enfant m’a demandé pourquoi mon loup avait mis la culotte de Mickey», sourit l’illustratrice.

Pour fêter les dix ans du Centre de Littérature de Jeunesse de Bruxelles, elle crée un gâteau autour duquel loup et cochons jouent à cache-cache. Et pour souhaiter la bonne année en janvier dernier, elle imagine une carte… avec trois petits cochons construisant un bonhomme de neige. Le loup et les cochons seraient-ils ses obsessions? «J’ai quelques anciens projets que j’aimerais reprendre et dans lesquels ces deux animaux n’interviennent pas», assure Françoise Rogier, avant d’ajouter en souriant «Mais peut-être qu’avant, je devrais aller voir un psy…».

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Françoise Rogier est intervenue dans le cadre du projet «auteurs à l’école» en juin 2017 dans des classes de maternelle à Francfort sur le Main. Cette visite a été rendue possible par le Lycée français Victor Hugo, l’association de parents UPEA, Wallonie-Bruxelles-International et l’Institut français de Francfort sur le Main.

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