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Quand le roman jeunesse fait des bulles: gros plan sur Rue de Sèvres

Adaptations, réécritures, réinterprétations 4

Damien Tornincasa
20 décembre 2018

Rue de Sèvres est une maison d’édition spécialisée dans la bande dessinée jeunesse et adulte. Elle a vu le jour en 2013 et son catalogue comporte, en plus d’une belle production originale, plusieurs adaptations de romans jeunesse et de classiques de la littérature. Ricochet était curieux d’en savoir plus à ce sujet. Nous avons donc sollicité Charlotte Moundlic, directrice artistique et responsable éditoriale (secteur bande dessinée jeunesse), qui a eu la gentillesse de répondre à nos questions.


Charlotte Moundlic
Charlotte Moundlic (© Laurence Houot-Rémy)

Damien Tornincasa: Charlotte Moundlic, pouvez-vous nous raconter, en quelques mots, comment la maison d’édition a vu le jour?
Charlotte Moundlic: En 2013, lorsque Louis Delas a quitté le pôle BD jeunesse du groupe Flammarion (qu’il dirigeait à l’époque) pour reprendre la direction du groupe familial de l’École des loisirs en remplacement de son père Jean Delas, il a souhaité lancer une branche de BD jeunesse et adulte. Nous l’avons alors rejoint, Nadia Gibert, Maryline Noppe, Agathe Jacon et moi-même, pour créer ce catalogue.

Rue de Sèvres propose, parallèlement à des créations inédites, plusieurs bandes dessinées adaptées de romans parus à L’École des loisirs, comme Verte de Marie Desplechin, La bobine d’Alfred et Quatre sœurs de Malika Ferdjoukh ou encore Calpurnia de Jacqueline Kelly. Qui sélectionne les textes à «transformer» en bandes dessinées? L’impulsion vient-elle des créateurs (romanciers, bédéistes) ou directement de Rue de Sèvres?
Dès le lancement de Rue de Sèvres, nous avons eu l’envie de «piocher» quelques pépites dans le somptueux catalogue de l’École des loisirs. C’est à moi que revient le privilège de sélectionner, avec la complicité de l’équipe éditoriale des romans, les textes qui pourraient être adaptés. Tous les textes ne se prêtent pas à l’adaptation en bande dessinée: il faut qu’une fois «dépouillés» de leur littérarité, ils gardent une structure scénaristique et un univers visuel fort qui collent à la BD.

Lorsque je rencontre un roman qui me semble répondre à ces contraintes, je le propose au comité de lecture de Rue de Sèvres composé de l’ensemble de l’équipe (nous sommes cinq désormais avec l’arrivée d’Anthony Simon au poste d’assistant éditorial). Si le projet fait l’unanimité, je contacte l’auteur du roman pour lui proposer et lui présenter des co-auteurs.

Dans un seul cas à ce jour, la proposition est venue d’auteurs de BD qui souhaitaient proposer une adaptation d’un roman de l’École des loisirs. Comme l’idée était tout à fait séduisante, j’ai organisé une rencontre et le projet est en cours!

Couvertures de La bobine d'Alfred
© Rue de Sèvres et L’École des loisirs

En tant qu’éditrice, de quelle adaptation êtes-vous la plus fière? Pourquoi?
C’est impossible pour moi de répondre à cette question, chaque album est unique et je vous garantis que je suis extrêmement fière de chacune des adaptations. En revanche, je suis vraiment heureuse que La guerre de Catherine ait remporté le prix de la BD jeunesse d’Angoulême en 2018. J’étais très contente qu’il fasse partie de la sélection officielle et vraiment émue qu’il soit choisi par le jury composé des jeunes lecteurs auxquels il s’adresse.

La guerre de Catherine
© Rue de Sèvres

On entend souvent dire que le métier d’éditeur est un véritable exercice d’équilibriste: tantôt il faut être audacieux, tantôt il vaut mieux jouer la sécurité. Le fait de publier des adaptations de romans qui ont déjà connu un certain succès auprès du public représente-t-il, pour vous, un moyen de limiter le risque éditorial? Les adaptations constituent-elles vos meilleures ventes?
Très honnêtement, le succès rencontré par les romans ne garantit pas le succès d’une adaptation et ce n’est pas ce qui guide nos choix. Dans la liste des titres déjà adaptés, certains ont connu un succès plus d’estime que public. Par exemple, La guerre de Catherine, qui faisait déjà partie des bonnes ventes de notre catalogue avant Angoulême, a permis au roman de revenir dans les vitrines des libraires. En revanche, la notoriété de certains auteurs nous permet de capter l’attention de certains libraires jeunesse qui ne sont pas forcément spécialisés en BD.

J’ai été bluffé par l’adaptation de Bonjour tristesse réalisée par Frédéric Rébéna (parue en avril 2018). Pouvez-vous nous raconter l’histoire éditoriale de ce livre?
Le roman a été proposé par les éditions Julliard à Nadia Gibert, l’éditrice de l’album. Nous l’avons tous lu et avons immédiatement pensé à Frédéric Rébéna. Quand Nadia le lui a proposé, il nous a raconté que c’était le premier livre pour adultes qu’il avait découvert dans la bibliothèque de ses parents. Il en avait un souvenir très précis. Bien que tétanisé à l’idée de s’attaquer à ce monument, il s’est régalé avec cette adaptation pour laquelle il a bénéficié du soutien bienveillant et encourageant de Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan.

Bonjour tristesse
© Rue de Sèvres

On déplore souvent que les adolescents lisent de moins en moins. Pensez-vous que les adaptations sous forme de bandes dessinées puissent être une porte d’entrée vers la littérature classique pour les lecteurs de plus petit appétit?
Je pense que, grâce à l’aide des bibliothécaires qui soutiennent et proposent depuis toujours des albums de BD dans les bibliothèques et les CDI, ce peut être un premier pas vers la littérature classique.

A propos de classiques, vous avez sorti, en novembre, un ouvrage intitulé Avez-vous lu les classiques de la littérature? Pouvez-vous nous en toucher quelques mots?
Pascale Frey, chroniqueuse littéraire au magazine ELLE, et Soledad Bravi se sont associées pour proposer sous forme de BD des résumés de vingt grands classiques de la littérature. Pascale les a tous relus, puis elle les a racontés à Soledad qui les a à son tour racontés et dessinés avec l’humour qu’on lui connait.

Qu’auriez-vous envie de dire à ceux qui considèrent la bande dessinée comme une littérature de seconde zone?
Qu’ils en lisent!

Enfin, pouvez-vous nous dévoiler ce que Rue de Sèvres réserve aux lecteurs pour les mois à venir?
Daphné Collignon travaille actuellement sur la suite de Calpurnia et il y a plusieurs autres adaptations en cours de réalisation. Je peux notamment vous citer un merveilleux Fils de l’Ursari d’après le roman de Xavier-Laurent Petit, adapté par Cyrille Pomès et mis en couleurs par Isabelle Merlet.