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Ricochet lit à haute voix avec Jean-Claude Mourlevat, un écrivain qui manie aussi bien sa langue que la langue

Au dernier salon de Montreuil, le lauréat du prix Astrid Lindgren 2021 a montré qu’il ne savait pas seulement écrire, mais aussi lire. Un article à partager à voix haute, évidemment.

Jean-Claude Mourlevat
Dominique Petre
2 février 2023

Sa dernière interview pour Ricochet date de 2018. Beaucoup de choses se sont passées depuis dans la vie de Jean-Claude Mourlevat et de son dernier héros, le hérisson détective amateur Jefferson.

L’écrivain jeunesse s’est vu décerner, en 2021, un prix dont on dit qu’il équivaut à un Nobel en littérature de jeunesse: l’Astrid Lindgren Memorial Award ou ALMA pour les intimes. Pour l’ensemble de son œuvre. Et alors qu’il ne s’y attendait pas du tout. Le très touchant discours de l’auteur – qui ose même quelques phrases en suédois – lors de la remise du prix est encore visible sur YouTube.

Du côté des animaux et de la fiction, Simone la lapine dépressive a disparu; la vie de Jefferson et de son copain Gilbert a donc, pour la seconde fois, arrêté de couler comme un fleuve tranquille. Pour en savoir davantage il suffit de lire, à voix haute ou pas, Jefferson fait de son mieux (Gallimard Jeunesse, 2022).

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Jean-Claude Mourlevat devant un poster de son héros Jefferson au dernier salon de Montreuil;. Magique: recevoir le prix ALMA depuis Saint-Just des mains de la princesse Victoria de Suède (© Dominique Petre; © Photos cérémonie ALMA 2021, Susanne Kronholm, Astrid Lindgren Memorial Award)

 «Qu’est-ce que cela fait, quand on reçoit le prix Astrid Lindgren?», a demandé la comédienne et journaliste Cécile Ribault Caillol à Jean-Claude Mourlevat lors d’une rencontre au dernier salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil (SLPJ). «Cela déstabilise. J’ai mis un peu de temps à assumer», a répondu l’auteur, expliquant vivre depuis l’annonce «une sorte de dédoublement. D’un côté je suis le gars qui a reçu ce prix-là, cela entraîne beaucoup de sollicitations comme celle de venir ici, à Montreuil. Mais 99% du temps, je suis resté moi». Dans d’autres entretiens, Jean-Claude Mourlevat avait eu une autre réponse: ce qui avait changé, depuis l’attribution du prestigieux prix Astrid Lindgren 2021, c’était que, désormais, son voisin savait comment il gagnait sa vie.

L’oralité de la lecture a le vent en poupe
L’intervention de Jean-Claude Mourlevat au dernier SLPJ était axée sur l’oralité de la lecture. Celle-ci semble revenir en force et ne se limite pas à la lecture à voix haute pour les enfants qui ne savent pas encore lire. En France, l’émission «La grande librairie» organise, en coopération avec le Ministère de l’éducation nationale, le concours «Si on lisait à voix haute». Une autre compétition annuelle, fondée à l’initiative du Syndicat national de l’édition, «Les petits champions de la lecture» s’adresse depuis 2012 aux plus jeunes (fin de l’école primaire).

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La reine Mathilde de Belgique lit Marie Colot sur YouTube. En Suisse, la biblio Chardonne-Jongny participe à l’annuelle Journée de la lecture à voix haute. À Montreuil, Jean-Claude Mourlevat lit «Jefferson fait de son mieux» (© Capture écran chaîne YouTube Monarchie belge; © CS; © Dominique Petre)

En Belgique, la reine Mathilde a encouragé la lecture partagée dans une capsule vidéo diffusée pendant la pandémie. En français, elle a choisi de lire un extrait du livre de Marie Colot, Jusqu’ici tout va bien, lauréat du prix du Fonds Victor qui finance, chaque année, des expériences de lecture à voix haute dans des écoles. En Suisse, une Journée de la lecture à voix haute, organisée par l’Institut suisse Jeunesse et Médias ISJM, aura lieu pour la sixième fois le 24 mai 2023. L’an dernier, la manifestation a vu (ou plutôt entendu) plus de 7 500 lectrices et lecteurs lire des histoires à des enfants et des jeunes, dans des écoles, des bibliothèques, des librairies, des musées, mais aussi dans de nombreux foyers. Le mouvement n’est pas nouveau mais il semble s’amplifier, avec une croissance de la place occupée par le livre audio et des manifestations qui proposent des lectures publiques comme le festival Correspondances de Manosque.

«Comme Jefferson, je fais de mon mieux.»
Pourquoi considérer Jean-Claude Mourlevat comme un spécialiste de la lecture à voix haute? Modeste à Montreuil comme ailleurs, l’écrivain prétend «ne pas être très bon en lecture»: «Comme Jefferson et Gilbert qui ne sont pas de super détectives mais comptent un peu sur la chance, je fais de mon mieux», explique-t-il. Un mieux visiblement suffisant puisque que des éditeurs de livres audio n’ont pas hésité à lui confier la lecture de ses textes comme La ballade de Cornebique, La troisième vengeance de Robert Poutifard, l’intégralité de La rivière à l’envers ou les deux premiers volumes de Jefferson.

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«La ballade de Cornebique» et «La rivière à l’envers», des textes disponibles en livres audio lus par l’auteur lui-même. Une famille nombreuse (Jean-Claude Mourlevat est le second en partant de la gauche), la meilleure école pour apprendre à raconter des histoires ? (© Écouter Lire; © Jean-Claude Mourlevat privé; © Audiolib)

Comme il l’explique sur son site, Jean-Claude Mourlevat a proposé avec une amie comédienne dès le début des années 2000 des lectures (intégrales!) de sa version du petit poucet, L’enfant océan. «Le spectacle durait 2h20, mais je ne me souviens pas que les gens soient partis avant la fin», explique l’écrivain. «Il faut dire que le texte semble écrit pour le théâtre». Depuis, il n’a pas arrêté d’écrire (un troisième tome de Jefferson est en préparation!)… et de lire.

Le spécialiste Peter Szendi a récemment donné une belle définition de la lecture à voix haute sur France Culture: «L’art de vocaliser un texte à voix haute serait de restituer ou de faire accéder à l’écoute la vie sentimentale, non pas des personnages, mais du texte, de la syntaxe et de la prose». Il suffit d’écouter, sur le site de Jean-Claude Mourlevat, sa lecture d’un extrait de L’homme à l’oreille coupée pour se rendre compte que l’auteur maîtrise parfaitement cet art.

«J’écris à haute voix silencieusement».
«Est-ce que vous écrivez à voix haute?», souhaite savoir Cécile Ribault Caillol lors de la rencontre à Montreuil. «J’écris à voix haute silencieusement», répond Jean-Claude Mourlevat en souriant. «Je marmonne pour vérifier volume, rythme et intentions. Je me projette déjà dans l’idée de lire le texte à voix haute, surtout pour les dialogues».

«J’étais comédien mais pas très bon non plus», insiste l’écrivain. «Mais je suis le cinquième de six enfants. Chez nous, il existait une sorte d’émulation. C’était à celui qui raconterait la meilleure histoire, de préférence la plus drôle». Une famille nombreuse en guise d’école de narration? Jean-Claude Mourlevat acquiesce: «L’intrigue de Jefferson est née il y a cinquante ans, des histoires que l’on se racontait, le soir avant de s’endormir, mon petit frère et moi».

«Quand on lit à voix haute on devrait faire le même effort que quand on veut persuader», poursuit-il. «On veut être entendu, compris. On veut atteindre, toucher».

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Cécile Ribault Caillol écoute Jean-Claude Mourlevat lire à Montreuil, l’audiolivre de Jefferson lu par l’auteur, Jean-Claude Mourlevat lit dans une classe de primaire du Lycée français Victor Hugo à Francfort en Allemagne (© Dominique Petre; © Écoutez Lire; © Dominique Petre)

Lire à voix haute pour partager le plaisir
On prête à la lecture à voix haute de nombreux avantages. La plateforme edu.academy par exemple en cite dix, mais oublie sans doute le plus important: le plaisir procuré par l’oralité. Il suffit d’assister à une lecture publique de Jean-Claude Mourlevat pour comprendre qu’il adore cela. Et le public aussi. Quand ce dernier rit, l’auteur jubile. «Dans les écoles, j’adorais arriver à captiver une classe», explique-t-il, «surtout s’il s’agissait d’un public “difficile” comme des ados réputés non-lecteurs».

«J’ai lu tous les livres de Roald Dahl et presque toutes les BD de Tintin à mes enfants et ils ont aimécela», reprend Jean-Claude Mourlevat à Montreuil, avant de conclure: «La lecture à voix haute est un fantastique moment de partage».

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Jean-Claude Mourlevat

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