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Julien Perrot: «Pour les enfants, la nature est une source inépuisable de jeux, de calme, d’épanouissement avec les cinq sens, de découvertes, d’expériences.»

Le documentaire jeunesse 3

Elise Prêtre et Damien Tornincasa
12 novembre 2020

Avec ses trois revues documentaires (dont deux pour les enfants), ses livres, ses reportages animaliers et son festival, La Salamandre est une solide référence en matière de diffusion des savoirs sur la nature et les animaux. Julien Perrot, à la tête du projet depuis plus de 35 ans, a eu la gentillesse de répondre à quelques questions pour les lecteurs de Ricochet. C’est parti pour une interview grandeur nature!


Julien Perrot
Julien Perrot (©La Salamandre)

Elise Prêtre et Damien Tornincasa: Vous avez fondé La Salamandre (aujourd’hui Revue Salamandre) en 1983, alors que vous n’aviez que 11 ans! Pouvez-vous nous raconter, en quelques mots, comment l’aventure a débuté?
Julien Perrot: Quand j’avais 11 ans, j'habitais à la campagne, sur La Côte vaudoise. J'adorais me balader et observer ce qui m’entourait: les oiseaux, les fleurs, les insectes… Au bout d'un certain temps, je me suis rendu compte que ce n'était pas très rigolo de garder tous ces cadeaux que je recevais de la nature rien que pour moi. J’ai eu envie de les partager. À cette époque déjà, j'aimais bien écrire et imaginer des histoires, j’ai donc choisi de créer un petit journal pour combiner ma passion pour la nature avec celle pour l'écriture et la transmission. C’est de cette manière qu’est née la revue.

En parallèle, j'ai rencontré une salamandre un soir d’automne où je me promenais sous la pluie dans une belle forêt au bord de l'Aubonne. J'étais tellement fasciné par cet animal que je suis souvent retourné l'observer. Un jour, j'ai même vu des bébés salamandres sortir du ventre de leur maman. C'était tellement beau d'être ainsi confronté au miracle de la vie que j’ai décidé d’appeler mon petit journal La Salamandre.

Déjà gamin, j’étais à la fois émerveillé par la beauté de la nature et triste, inquiet, en colère par rapport à sa destruction à l’œuvre partout sur Terre. C'était il y a 37 ans et la situation n’a pas vraiment évolué dans la bonne direction. Avec La Salamandre. l’idée, dès le début, était de diffuser le plus largement possible l’amour de la nature qui m’animait et d’apporter ma petite contribution pour améliorer les choses.

L’important, à mon sens, n’était pas de parler d’éléphants ou de girafes, mais de présenter la nature telle que je pouvais l’observer autour de chez moi. C’est toujours mieux quand il y a du vécu! Si vous racontez un affût au renard le soir dans un petit vallon moussu et que vous avez vraiment fait cette expérience, vous en parlerez de manière captivante. Au contraire, si vous compilez uniquement des livres et des sites Internet, vous allez rédiger un article, qui sera peut-être très intéressant, mais qui ne renfermera pas les mêmes émotions. Ces émotions, ce vécu sont toujours des aspects essentiels, aussi bien dans nos publications pour les adultes que pour les enfants. Nous avons bien sûr l’ambition d’accompagner les enfants dans leurs apprentissages de la lecture, de l’écriture, du calcul, de participer à leur éveil, de développer leurs connaissances de la nature. Mais, au-delà de tout cela, ce qu’on désire vraiment, c’est leur transmettre de l’amour et des émotions.

De quelle façon La Salamandre a-t-elle évolué au cours de ses 37 années d’existence? Quelles ont été les étapes clés de son développement?
Il s’en est passé des choses [rires]!

Une première étape clé est survenue en 1984, peu après le début de l’aventure. À l’époque, la Télévision Suisse Romande[1] diffusait tous les dimanches une émission sur la nature intitulée Escapades. Un jour, j’ai écrit au journaliste qui animait cette émission pour lui expliquer ce que je faisais, lui parler de ma chambre dans laquelle il y avait des aquariums, des collections de plumes et bien d’autres curiosités. Trois semaines plus tard, il débarquait chez moi avec une équipe de télévision. Cela a été le début d’une forte médiatisation de La Salamandre en Suisse romande. Il faut dire que j’étais un bon sujet pour les journalistes, on m’a rapidement baptisé «Le plus jeune rédacteur en chef de Suisse romande». Grâce à cette médiatisation sont arrivés les premiers «vrais» abonnés (des lecteurs hors du cercle de la famille, de l’école et des copains) et, avec eux, la responsabilité que la revue ne s’arrête pas.

Les années 1997-1998 ont été déterminantes dans l’histoire de la revue. Je venais de terminer mes études en biologie et la grande question était de savoir si La Salamandre allait rester un hobby ou devenir mon métier (j’avais alors déjà plusieurs milliers d’abonnés). J’ai longtemps hésité, mais la cause que j’essayais de défendre était si importante que j’ai souhaité y consacrer tout mon temps et toute mon énergie. À cette période, j’ai engagé une première collègue. Cela a été le début de la professionnalisation de La Salamandre, mais également de sa diversification.

En effet, quelques mois plus tard, nous avons lancé un deuxième magazine, La Petite Salamandre, destiné aux enfants. À l’origine, La Salamandre était conçue par un gamin; c’était une revue toute simple. Mais, avec le temps, les contenus se sont complexifiés et elle est vraiment devenue une publication pour adultes[2]. Quant à moi, j’avais également grandi, mais je me disais: «Bon sang, ce serait trop chouette de créer la revue que j’aurais rêvé d’avoir quand j’étais gosse». C’est de là que sont nées La Petite Salamandre et, plus généralement, l’envie de concevoir des contenus pour les enfants avec l’objectif de les sensibiliser à la nature. Aujourd’hui, nous avons deux magazines jeunesse: La Petite Salamandre pour les 4-7 ans (auparavant, elle s’adressait à tous les enfants) et La Salamandre Junior pour les 8-12 ans.

Au fil des années, cette diversification s’est intensifiée: nous avons lancé le Festival Salamandre à Morges en 2003, nous nous sommes mis à produire des films, à éditer des livres, nous avons développé nos activités sur les canaux digitaux.

Une dernière étape très importante dont je voudrais parler a eu lieu en 2001. Pour La Salamandre, cette année marque le début de l’aventure française. Les chevreuils, les hirondelles, les grenouilles sont les mêmes des deux côtés de la frontière et je trouvais dommage de proposer ce que nous faisions uniquement en Suisse. D’autant que nous recevions de plus en plus de demandes de lecteurs français souhaitant s’abonner, mais cela était très compliqué pour des raisons logistiques. Le lancement en France s’est fait d’abord à petite échelle. Le succès a été au rendez-vous: aujourd’hui, nous avons plus d’abonnés et vendons davantage de livres en France qu’en Suisse, ce qui, pour un petit éditeur romand, indépendant et sans but lucratif, n’est pas commun!

Les trois revues de La Salamandre 1
Fondée en 1983, la revue «La Salamandre» a bien grandi depuis et se décline aujourd'hui en 3 versions: «La Petite Salamandre», «La Salamandre Junior» et «Revue Salamandre» (©La Salamandre)

Avec une parution en Suisse, en France et en Belgique[3], La Salamandre est bien implantée dans le monde francophone. Avez-vous déjà envisagé de créer une version germanophone?
J’y ai pensé, j’ai même fait une tentative il y a longtemps, quand j’étais au gymnase, avec un copain bilingue. Mais, après deux numéros, il a calé et m’a laissé en plan [rires]. Je me suis alors tourné vers un retraité passionné de nature qui avait plus de temps et de persévérance. On a eu de beaux articles dans la Neue Zürcher Zeitung, dans le Tages-Anzeiger et même une émission de télévision en Suisse alémanique. Der Salamander a duré deux ans avant de s’arrêter.

En 2001, en souhaitant élargir notre public, nous étions face à un dilemme: valait-il mieux se tourner vers la Suisse alémanique ou la France? Aux niveaux légal et logistique, la Suisse alémanique semblait plus facile d’accès: il s’agissait du même pays, de la même monnaie, de la même structure juridique. En revanche, il aurait fallu tout traduire, adapter les contenus et peut-être même revoir le design: les goûts esthétiques dans les mondes francophone et germanophone sont assez différents. A contrario, avec la France, nous risquions de rencontrer des difficultés logistiques et juridiques, mais les différents supports que nous produisions demandaient peu d’adaptations. Nous avons opté pour cette seconde option et, après quelques années de souffrance, cela a porté ses fruits.

Malgré tout, je suis ouvert sur la Suisse alémanique et c’est un petit regret de ne pas avoir pu m’y implanter. Cela me semble être difficile à réaliser aujourd’hui: La Salamandre est déjà un écosystème riche et complexe. Notre équipe compte 21 personnes, provenant de deux aires culturelles, et touche à des métiers très différents: la presse, l’édition de livres, la production de documentaires animaliers et de contenus web, etc. À cela s’ajoutent la logistique de gestion des abonnements et du site Internet ainsi que la diffusion des livres, ce qui représente beaucoup de travail!

Après 37 ans d’activité, comment faites-vous pour proposer des sujets originaux et aussi variés?
Rien de plus facile: il suffit de vous balader une heure en forêt et vous aurez cinquante idées! [rires]

C’est le grand miracle de la nature. Chaque fois que je suis dehors, je vois quelque chose que je n’avais encore jamais remarqué et je me dis: «On pourrait faire ceci, on pourrait imaginer cela». Mes collègues sont dans le même état d’esprit, c’est archi-génial.

Il faut aussi souligner que nous faisons des choix éditoriaux atypiques. Dans la Revue Salamandre, par exemple, on aime bien consacrer des dossiers à des sujets méconnus et surprenants, comme les algues ou les tardigrades. Dans La Petite Salamandre, destinée aux enfants pas encore autonomes dans la lecture, on va plutôt rester sur des thématiques assez accessibles, comme la grenouille, le chevreuil ou l’aigle. De temps en temps, on retraite donc des mêmes sujets, mais on parvient toujours à trouver de nouveaux angles, des idées et des activités originales.

Les trois revues de La Salamandre
Les numéros d'octobre-novembre 2020 des magazines «Revue Salamandre», «La Salamandre Junior» et «La Petite Salamandre» (©La Salamandre)

Vous avez donc encore des idées pour les 37 prochaines années?
Largement, on en a plein les cartons, ça déborde de partout! Il y a plutôt trop d'idée que pas assez! [rires]

Actuellement, vous publiez deux magazines destinés aux enfants: La Petite Salamandre pour les 4-7 ans et La Salamandre Junior pour les 8-12 ans. Pourquoi, selon-vous, est-il important de parler de la nature aux enfants? Quelles valeurs souhaitez-vous leur transmettre?
C’est extrêmement important de parler de la nature aux enfants! L’omniprésence du virtuel et le phénomène d’urbanisation éloignent toujours plus les gens – adultes comme enfants – de la nature, du rythme des saisons et de la réalité du monde. On finit par croire que les poissons naissent panés dans des emballages et que le lait provient des bouteilles, sans penser aux vaches et au fait qu’elles doivent être prêtes [rires]! Notre souhait est donc de reconnecter les enfants à la nature, ou de renforcer leur lien s’il existe déjà. Pour les enfants, la nature est une source inépuisable de jeux, de calme, d’épanouissement avec les cinq sens, de découvertes, d’expériences. On tient à cultiver leur curiosité, leur esprit d’aventure. C’est particulièrement important à une époque où on a peur de tout! Je suis convaincu qu’il faut aller en forêt avec ses gosses – sans craindre de se faire piquer par une tique ou qu’un arbre nous tombe sur la tête – et même qu’on peut parfois les y envoyer tout seuls. Vous verrez, ils vivront des trucs complètement incroyables!

Nous souhaitons aussi sensibiliser les enfants au respect de la nature, car c’est probablement ce qu’on a de plus précieux aujourd’hui. Cela peut être à travers des recommandations toutes bêtes, mais importantes: ne pas laisser traîner ses déchets, éviter de crier en forêt afin de ne pas déranger les animaux... Ainsi, lorsqu’ils seront adultes et qu’ils auront des décisions à prendre, ils seront conscients de la valeur de la nature.

Ces deux magazines proposent à la fois un contenu documentaire et un côté un peu plus ludique avec des jeux, des recettes de cuisine ou encore des bricolages. Apprendre et s’amuser: deux notions qui vont de pair?
Tout à fait, il faut vraiment des deux. Ce que j’observe souvent, c’est que les parents ou les enseignants voudraient que les enfants dévorent les pages documentaires, alors que les enfants – surtout les plus petits – vont spontanément vers les parties ludiques car ils ont plus envie de jouer que d’apprendre. Le défi est de trouver un équilibre afin de transmettre un maximum d’informations de manière amusante et interactive. Si on proposait des contenus trop documentaires, cela risquerait d’avoir un aspect un peu scolaire, moins grand public. On ne toucherait que les enfants qui ont déjà un fort intérêt pour la thématique. Ce serait très dommage.

Avez-vous remarqué une évolution du genre du magazine documentaire pour enfants? Y a-t-il eu, au fil des années, des «modes» différentes? Est-ce que la démocratisation d’Internet, il y a une quinzaine d’années, a bouleversé vos pratiques?
À mon avis cela ne concerne pas uniquement le documentaire. De manière générale, les formats digitaux sont en compétition avec les formats papier, que ce soit pour le documentaire ou pour des contenus beaucoup plus ludiques. Je dirais même que le numérique amène une plus grande valeur ajoutée à ce qui est ludique, car il permet de développer davantage d’interactivité. Par ailleurs, j’ai l’impression qu’il y a une prise de conscience de la part de beaucoup de parents et d’enseignants: ils se rendent compte que le papier est important, notamment lorsqu’il s’agit de supports très qualitatifs. Je n’ai donc pas l’impression que nous assistions à la mort du magazine documentaire jeunesse, il me semble même que la presse jeunesse se porte plutôt mieux que certains secteurs de la presse généraliste (les quotidiens, par exemple, rencontrent beaucoup de difficultés). Après, ce n’est pas uniquement une question de lecteurs. Une grande partie de la presse dépend des annonceurs, ce qui, je le signale en passant, n’est pas notre cas puisque nos magazines ne contiennent pas de publicité.

L’équipe de La Salamandre croit fortement au papier. Nous sommes d’avis qu’une belle revue, bien imprimée, avec un papier de qualité et des images incroyables a sa place sur la table du salon. Vous aurez plaisir à vous en saisir, la feuilleter, la montrer à un ami. Quant à Internet, il s’agit plutôt, pour nous, d’un extraordinaire moyen de se connecter aux gens, de les faire entrer dans notre univers, de leur faire découvrir notre philosophie et nos différentes activités. La combinaison des deux fonctionne bien aujourd’hui, je trouve.

Depuis 2011, La Salamandre est également une maison d’édition de livres pour adultes et enfants. Quelles sont ses spécificités?
En 2011-2012, nous avons connu une période très difficile du point de vue économique. Cette situation était à double tranchant: soit nous devions nous diversifier, soit nous risquions de ne pas survivre. Finalement, nous avons démarré l’activité d’édition de livres dans une sorte de réflexe de survie. Rapidement, nous nous sommes rendus à l’évidence que la logique de la presse et celle de l’édition sont très différentes. Nous ne connaissions rien à cette nouvelle mécanique que nous avons dû apprivoiser petit à petit.

Nous avons commencé par éditer des livres jeunesse: nous avions l’impression que les gens achetaient toujours des ouvrages pour leurs enfants, même si les autres ventes baissaient. Or, nous nous sommes retrouvés face à des géants publiant des centaines de titres chaque année, traduits dans 50 langues, bénéficiant d’une production très bon marché à l’étranger. Si vous faites preuve d’éthique, vous restez alors invisibles.

Très vite, nous nous sommes alors réorientés vers l’édition de livres pour adultes. Nous produisons d’une part des beaux livres, des ouvrages très qualitatifs, avec des photos et des dessins, et d’autre part des guides pour apprendre à reconnaître les fleurs ou les animaux, destinés à un large public, notamment les enfants. Nous publions également des essais. Les livres pour les familles, avec des activités, forment notre quatrième axe d’édition. Nous avons deux collections: La nature en famille et Tous dehors!, qui proposent un grand nombre d’activités à faire dans la nature avec des enfants. Puisqu’il existe déjà beaucoup de livres de ce genre s’adressant directement aux enfants, nous avons décidé de créer des livres pour adultes. Ces deux collections ont connu un joli succès.

En parallèle, nous continuons de sortir quelques livres pour enfants chaque année, lorsque des opportunités se présentent. Actuellement, nous devons mener une réflexion pour savoir si nous allons à nouveau essayer de passer à la vitesse supérieure dans le domaine du livre jeunesse. Nous aurions envie de créer beaucoup plus de livres, mais en ce moment notre priorité est de donner davantage de visibilité à l’activité de livres pour adultes. Si nous atteignons cet objectif, une deuxième étape serait alors de recommencer à éditer régulièrement des livres jeunesse. Nous avons beaucoup appris durant toutes ces années et je pense que nous nous y prendrions sûrement mieux qu’à l’époque.

Livres La Salamandre
Beaux livres, guides nature, ouvrages pour les familles: quelques exemples de livres édités par La Salamandre («Le lièvre invisible», «La nature en automne», «Tous dehors! en forêt», ©La Salamandre)

Dans la catégorie des documentaires jeunesse, on peut citer la collection La nature en questions (anciennement Antisèches pour parents en détresse). Quelles sont les particularités de cette collection? Si vous deviez nous conseiller un seul titre parmi les dix publiés à ce jour, lequel choisiriez-vous et pourquoi?
Cette collection est née d’une expérience personnelle: nous avons constaté que beaucoup de parents ne connaissent que très peu la nature. Or, souvent, les enfants s’y intéressent énormément et ce sont des usines à questions! Lorsqu’un adulte ne parvient pas à répondre aux questions d’un enfant, il peut réagir de deux manières différentes: se sentir ridicule ou alors admettre que l’on ne sait pas tout. Cette dernière approche est très positive pour l’enfant. De ce fait, je trouve très intéressant de s’adresser aux adultes, parents ou enseignants, en se mettant à leur place et en anticipant leurs besoins. Voilà une chouette collection qui aide à fournir plein de réponses.

J’aime beaucoup Les animaux qui sortent… la nuit, un ouvrage qui parle de chouettes, de vers luisants, de chauves-souris… Toutes les choses qui se passent dans la nature pendant que l’on dort fascinent et interpellent les enfants. Avec ce livre, vous aurez des réponses très pratiques à leurs questions.

Les animaux qui sortent...la nuit
Couverture et image intérieure de «Les animaux qui sortent… la nuit» (©La Salamandre)

Histoires nature de la Petite Salamandre, un nouveau livre pour enfants, vient de paraître. Pouvez-vous nous le présenter?
Il s’agit d’un livre de contes: une compilation de belles histoires, joliment illustrées, qui sont parues dans notre revue jeunesse. Nous avons déjà publié plusieurs titres semblables et ils ont toujours très bien marché.

J’ai moi-même trois enfants et je trouve que les livres avec des récits intéressants et bien illustrés sont très précieux pour le coucher ou lors d’un voyage en train, par exemple. Lorsqu’on lit une histoire à un enfant, comme je le fais avec ma fille par exemple, on vit un beau moment de partage intergénérationnel. Le conte transmet des valeurs et véhicule du sens: l’enfant se rend compte, par exemple, que les animaux ont aussi des soucis. Histoire Nature rentre dans cette logique-là et communique de beaux messages.

Histoires nature de la Petite Salamandre
Couverture et image intérieure de «Histoires nature de la Petite Salamandre» (©La Salamandre)

Le respect de la nature est une valeur fondamentale de La Salamandre. Concrètement, quelles mesures sont mises en place au niveau éditorial?
Premièrement, la Revue Salamandre n’est pas vendue en kiosque: elle ne l’a jamais été et elle ne le sera jamais. Les deux revues jeunesse sont quant à elles destinées à un public plus large. Nous en distribuons donc le strict minimum en kiosque. Il s’agit d’une mesure environnementale forte: même lorsque les ventes sont bonnes, la moitié des magazines présents en kiosque finissent au pilon. Cela représente un gaspillage de papier et d’énergie énorme et absurde.

Deuxièmement, toutes nos revues sont imprimées sur un excellent papier recyclé, produit en France. Nos livres ne sont pas tous fabriqués avec du papier recyclé, mais lorsque ce n’est pas le cas, nous utilisons alors des papiers labellisés provenant de forêts gérées durablement. Nous sommes très attentifs à ces paramètres et nous produisons presque tout dans un rayon de 100 kilomètres. L’impression représente le plus gros impact environnemental de notre activité, mais je pense que nous avons exploré toutes les possibilités actuelles dans ce domaine.

Nous réfléchissons beaucoup à la question de l’impact écologique. Par exemple, l’emballage dans lequel nos revues sont actuellement postées est composé d’une sorte de plastique compostable, donc pas trop néfaste. Toutefois, nous nous interrogeons: ne serait-il pas mieux de revenir à des enveloppes papier? Or, cela pose d’autres problèmes, au niveau de la résistance par exemple. Il y a également des études arguant que certains types de plastique sont finalement moins énergivores… C’est typiquement le genre de questions auxquelles nous réfléchissons de manière constante.

Depuis ses débuts, La Salamandre s’intéresse à la défense de l’environnement et de la biodiversité. Des thématiques qui sont devenues populaires ces dernières années, notamment dans l’édition de documentaires jeunesse. Quelle est votre réaction face à cette tendance? Pensez-vous que tous les éditeurs ont la légitimité de parler d’écologie?
Concernant les grands mastodontes de l’édition, leur discours écologique est, à mon sens, moyennement crédible. Lorsqu’un éditeur parle d’écologie, mais qu’il fait imprimer ses ouvrages dans d’énormes structures consommant beaucoup d’énergie, situées à l’étranger, sur du papier glacé, ce n’est pas cohérent.

À La Salamandre, nous sommes des artisans en quelque sorte. Nous ne produisons pas à la chaîne et nous effectuons notre travail avec tout notre cœur. J’espère que cela se sent. La crédibilité est essentielle pour nous et elle s’appuie sur plusieurs facteurs. Tout d’abord, nous sommes une structure à but non lucratif. De plus, notre équipe compte des experts aguerris, naturalistes et biologistes. Ainsi, si nous décidons d’écrire un article sur les libellules ou les pesticides dans les rivières, nous avons des spécialistes qui connaissent vraiment ces thématiques. Les maisons d’édition généralistes peuvent commander des articles ou des livres à des auteurs compétents. Néanmoins, à La Salamandre, cette expertise fait véritablement partie de notre ADN: nous savons vraiment de quoi nous parlons, ce qui nous permet de faire des choix plus courageux ou plus étonnants.

Nous nous situons dans cette niche de la nature et de l’environnement, des thématiques qui deviennent de plus en plus à la mode. Cela peut nous aider économiquement, mais cet aspect reste secondaire. Ce qui importe, c’est que les choses changent, car si l’écologie est toujours plus d’actualité, le monde n’as pas encore évité la catastrophe.

Un mot sur l’engagement actuel des jeunes pour le climat?
Je trouve cela super, car les jeunes portent un regard très juste sur la situation actuelle. De leur point de vue, les vieux ont bousillé la planète! La génération des baby-boomers a pollué sans se poser de questions. Je comprends que cela suscite de la colère, une émotion qui a l’avantage de procurer beaucoup d’énergie. L’engagement des jeunes est très positif: il faut qu’ils secouent le monde politique et économique pour que l’on arrête de faire trop de bêtises. Il y a eu un beau réveil de la jeunesse, mais cela est passé au second plan en raison de la crise sanitaire. Nous allons voir ce qui va se passer dans les prochains mois…

Vous proposez beaucoup de médias différents: magazines, livres, films, vidéos Youtube, etc. Qu’est-ce qui a le plus de succès auprès des différentes tranches d’âge?
Ce que nous diffusons le plus largement, ce sont nos trois magazines: près de 80 000 personnes y sont abonnées. Lorsque nous éditons un livre, nous n’avons évidemment pas autant de lecteurs et lectrices! Les meilleurs tirages que nous avons réalisés se situent autour de 10 000-12 000 exemplaires, un chiffre énorme pour un petit éditeur. Concernant nos revues, La Petite Salamandre a beaucoup de succès auprès des 4-7 ans et La Salamandre Junior auprès des 8-12 ans. Nous n’avons pas beaucoup développé le matériel digital pour les enfants: nous préférons qu’ils aillent jouer dehors ou qu’ils lisent sur papier. Quant aux ados, nous arrivons à les intéresser grâce aux vidéos.

La Minute Nature: un rendez-vous hebdomadaire en vidéo (©La Salamandre).

Magazines, festival, maison d’édition: La Salamandre s’est beaucoup diversifiée au fil du temps. Quels sont vos projets d’avenir?
Environ trois fois par année, nous produisons des films, principalement des documentaires animaliers, et nous les diffusons sous forme de DVD. Hélas, c’est gentiment la fin des haricots pour le DVD! L’un de nos projets pour l’année 2021 sera donc de lancer une plateforme de VOD en ligne, avec une formule d’abonnement. Les documentaires proposés suivront différents axes éditoriaux, avec notamment des films destinés aux enfants.

Cette plateforme permettra de mettre en valeur le travail des réalisateurs animaliers, malheureusement peu nombreux en Suisse romande. En France, beaucoup de documentaristes effectuent un travail magnifique, mais la collaboration avec les chaînes de télévision peut s’avérer compliquée. En effet, les chaînes françaises exercent une action de formatage qui bride la créativité et uniformise les productions.

Nous constatons un intérêt du public pour les documentaires animaliers qui sortent des sentiers battus: plus engagés, plus créatifs, plus originaux. Nous avons vraiment envie d’encourager ce mouvement grâce à notre plateforme vidéo et nous sommes convaincus que cela pourra intéresser notre public.


Infos:
Pour en savoir plus sur les abonnements aux différentes revues et sur les diverses publications de La Salamandre, consultez le site internet de La Salamandre.


[1] Ancêtre de la Radio Télévision Suisse (RTS). [Ndr]
[2] Cette publication a été rebaptisée Revue Salamandre en 2020. [Ndr]
[3] La diffusion des revues en Belgique se fait par l’intermédiaire de l’association sans but lucratif Forêt Wallonne. [Ndr]


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