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Gilles Paris : Courgette m’a donné la pêche

Gilles Paris
Dominique Petre
14 juillet 2017

L’auteur qualifie d’« histoire magique » la seconde carrière que le film de Claude Barras a offert à son roman Autobiographie d’une courgette.

Il n’aurait jamais imaginé que son roman puisse – quinze années après sa sortie en librairie – devenir un film d’animation. Et quel film ! Gilles Paris apprécie l’intelligence et le talent déployés par le réalisateur Claude Barras et sa scénariste Céline Sciamma, qui ont réussi le pari de transformer son Autobiographie d’une courgette en un long métrage pour enfants dans lequel « on ne s’ennuie pas une minute ». Qu’un écrivain fasse un tel éloge d’une adaptation de son œuvre à l’écran n’est pas courant. Pour résumer le livre pour adultes de 250 pages en 66 minutes destinées à des enfants à partir de sept ans, des choix ont évidemment dû être faits. « C’était normal qu’ils réécrivent l’histoire et la filment un peu à leur manière », estime l’auteur. Gilles Paris considère néanmoins Ma vie de courgette comme une version très fidèle de son roman : « Quand je suis sorti d’une première projection organisée pour les partenaires avant le Festival de Cannes, raconte-t-il, je me suis dit qu’en réalité mon roman était fait pour une telle adaptation ».

Le roman signé Gilles Paris n’a pas attendu le film pour trouver son public.
© Plon

 

350 000 exemplaires du livre vendus… bien avant la sortie du film.

Sorti en 2002 chez Plon, Autobiographie d’une courgette n’a pas attendu le film de Claude Barras pour trouver son public : « Le livre reste mon plus gros succès avec 350 000 exemplaires vendus et des traductions dans dix-sept pays », commente Gilles Paris. L’histoire de Courgette (c’est le surnom d’un petit garçon) fait l’objet d’une première adaptation en 2007, un téléfilm réalisé par Luc Béraud et intitulé C’est mieux la vie quand on est grand. Mais ce que Gilles Paris vit depuis le succès fulgurant et planétaire du long métrage de Claude Barras est, comme il le dit lui-même, « une histoire magique ». Les dix-huit mois de patient tournage en « stop-motion » (30 secondes tournées par jour !) et le budget de six millions d’euros ont été bien investis. Le film d’animation a remporté une vingtaine de prix dont deux Césars (meilleur film d’animation pour Claude Barras, meilleure adaptation cinématographique pour Céline Sciamma), une sélection aux Golden Globes et même aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger (suisse, comme le réalisateur Claude Barras). Au Festival de Cannes l’an dernier, la presse juge que Courgette est la véritable star de la Croisette. La projection à la Quinzaine des réalisateurs est suivie par vingt minutes d’ovation (« on en avait mal aux mains d’applaudir », se rappelle l’auteur avec délectation), et par une fête dans un hôtel huppé, sous une affiche du film haute de huit mètres. Le film fait l’unanimité, chez les critiques et auprès du public (900 000 entrées en France). L’engouement se ressent sur les ventes du roman : 30 000 exemplaires de la version poche de Courgette se vendent après la sortie du film. « C’est rare, pour un écrivain, que cela aille si loin, cela vous donne la pêche. » Sans avoir attrapé la grosse tête, Gilles Paris apprécie le succès du film qui a réanimé celui de son livre.

 

 

 

 

À Francfort en 2016, Gilles Paris reçoit un prix
qui couronne l’adaptation de son roman.
© Gilles Paris
À Francfort en 2017, Gilles Paris remet un prix
à des critiques en herbe. © unjour-toujours

 

 

 

Le succès de Courgette ne lui a pas donné la grosse tête. 
© Gilles Paris

 

Deux enfants choisissent leurs parents.

« Mon idée de départ, explique l’écrivain, était celle de deux enfants qui pourraient en quelque sorte choisir leurs parents. » Pendant un an et demi, Gilles Paris travaille dans une maison qui accueille des enfants placés (comme Courgette), située près de Fontainebleau. « Un juge pour enfants m’avait conseillé ce foyer pour mes recherches », commente-t-il. « D’ailleurs, avant de tourner le film, le réalisateur Claude Barras est allé lui aussi dans une maison d’accueil pour voir comment cela se passe. C’est de là qu’il a tiré l’idée du panneau météo de l’humeur des enfants. » Gilles Paris alterne son travail au foyer avec l’écriture du roman. « C’est vrai qu’on ne raconte pas d’histoires avec des familles heureuses », admet l’écrivain qui n’hésite pas à faire de son jeune héros un assassin dès les premières pages du roman. Icare (pardon, Courgette), dont le père est parti « faire le tour du monde avec une poule », se retrouve dans un foyer après avoir tué accidentellement sa mère alcoolique. Mais pas question de misérabilisme. Le paradoxe du livre (et du film), c’est que Courgette reçoit enfin ce dont il a besoin – amour, copains et stabilité – après avoir été placé en maison d’accueil.

 

Une idée sortie de la réalité d’un foyer : la météo de l’humeur des enfants.
© ritaproductions.com

 

Une admiration sans bornes pour les éducateurs.

Par respect vis-à-vis des enfants qu’il a côtoyés à Fontainebleau, les destinées de Courgette et de ses copains relèvent de la fiction. « Je n’ai gardé qu’une anecdote : celle de la gamine qui, chaque fois que l’on sonne à la porte, accourt pour voir si c’est sa maman qui vient la chercher. Et le jour où sa maman est effectivement sur le seuil, la petite fille se réfugie dans les bras de l’éducatrice. » Ce que le film ne dit pas, mais ce qui est vraiment arrivé, c’est que la mère, jalouse, a braqué avec une arme l’éducatrice qui avait pris sa place auprès de sa fille. « L’éducatrice est parvenue à calmer la mère. Mais le plus beau dans cette histoire, est qu’elle ne l’a pas dénoncée. » Quand Gilles Paris raconte ces anecdotes, on sent l’admiration sans bornes qu’il a pour les éducateurs : « J’ai voulu les mettre en avant dans mon roman parce qu’ils font un sacré job ». Dans le roman comme dans le film, des adultes comme l’enseignant Monsieur Paul ou la directrice du foyer sont par contre directement inspirés de personnes réelles. « Un auteur est un voleur d’histoires », sourit Gilles Paris. « J’ai été dans la classe de Monsieur Paul et j’ai vu de mes propres yeux comme la directrice aimait tous les enfants comme les siens. » Des personnages attachants, tout comme celui du policier Raymond. « À une époque où la police était très critiquée, j’ai eu envie de renverser cette négative et j’ai fait de Raymond un flic sympa. Le film a été encore plus loin en gommant son problème d’alcoolisme », précise Gilles Paris.

 Monsieur Paul, le professeur DJ à ses heures existe : Gilles Paris l’a rencontré. 
© ritaproductions.com

 

« La jeunesse, c’est la base de tout. »

Il n’est pas un auteur jeunesse, mais déjà quand il écrit ses premières nouvelles à l’âge de douze ans (notamment une dont les héros orphelins s’appellent Icare et Camille, c’est ce qu’on appelle avoir de la suite dans les idées), il le fait déjà du point de vue d’un enfant de neuf ans. Ses quatre premiers livres, dont Courgette, sont écrits avec cette voix-là. « À neuf ans on est curieux mais en même temps on aime se perdre dans la masse. » Pour son dernier roman, Le vertige des falaises, Gilles Paris a un peu grandi : la narratrice, Marnie, est une adolescente de quatorze ans plutôt mature. « Je voulais utiliser davantage de vocabulaire et de développement romanesque pour ce livre qui relève presque du thriller », explique l’auteur. Les droits de ce roman ont eux aussi été vendus pour une adaptation pour l’écran : José Dayan devrait réaliser le téléfilm.

 

Son nouveau roman, qui va également être adapté à l’écran.
© Plon
 

Persuadé que « l’enfance est la base de tout » et admiratif de la force de résilience des plus jeunes, l’auteur se réjouit d’être lu par des enfants et surtout de rencontrer ses lecteurs en herbe. Pour son dernier roman, il a fait de nombreuses rencontres scolaires : « avec eux la discussion démarre très vite ». À Francfort, à l’issue d’une projection pour public scolaire de Ma vie de Courgette en version originale coorganisée par l’Institut français, il explique aux jeunes adolescents : « Il y a cent ans, les écrivains ne rencontraient par leur public, on jugeait cela vulgaire. Alors que c’est extraordinaire d’échanger avec les gens qui vous lisent ». Et on voit qu’il a l’habitude : aucune des questions n’arrive à le déstabiliser, si inattendue soit-elle. Oui, il a un chien : « un beagle appelé Franklin ». Oui, Courgette c’est comme le jackpot : « une petite partie de votre billet de cinéma me revient ». Non, on ne se retourne pas sur lui dans la rue : « disons que je suis un inconnu célèbre ». Oui, il va essayer de placer le prénom d’Amine dans son prochain roman.

Une rencontre avec des enfants comme l’écrivain les adore, ici à Compiègne.
© Gilles Paris

 

Pourquoi Courgette s’appelle Courgette ?

Il y a des questions plus classiques, auxquelles l’auteur – même si cela doit être la centième fois – répond tout aussi patiemment : Pourquoi Courgette s’appelle-t-il Courgette ? « Mon héros s’appelle Icare – comme moi le fils d’un architecte. Mais aux trois quarts de l’écriture du roman, j’ai pensé que tous les enfants avaient des surnoms. Moi, on m’appelait Poulet parce que je m’étais déguisé en poulet lors d’une fête. J’ai pensé qu’un légume serait bien, et j’ai trouvé Courgette presque poétique. » Un légume poétique aux pouvoirs magiques.

Interview réalisée par Dominique Petre à Francfort, où Gilles Paris était invité par les organisateurs de Critique un jour, critique toujours pour la remise de prix de leur concours.

 

 

 

19.07.2017