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Comment une fille qui n’aimait pas l’école est devenue une femme qui fait des livres

Invitée au Festival de BD jeunesse Yippie! à Francfort-sur-le-Main, l’autrice-illustratrice Magali Le Huche a raconté son parcours un peu particulier à Ricochet.

Magali Le Huche vignette
Dominique Petre
10 mai 2023

Elle est née en 79 à Paris «dans la maternité où Sylvie Vartan a accouché», précise-t-elle, «ma maman était une grande fan de Sylvie et Johnny». Sa mère est psy, son père phoniatre (docteur spécialisé dans le traitement de la voix, de la parole et de la déglutition); Magali Le Huche a d’ailleurs réalisé avec lui un album documentaire: La voix, comment ça marche? «L’an dernier, lorsque j’étais en résidence à Villeurbanne, mon père a fait se lever 300 bibliothécaires pour un exercice de respiration abdominale», raconte-t-elle admirative, avant de préciser, «du haut de ses 93 ans».

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Magali Le Huche invitée au festival Yippie! à Francfort-sur-le-Main, l’album réalisé avec son père et la couverture de «Nowhere girl» qui thématise sa propre phobie scolaire. (© Institut français Frankfurt, © «La voix, comment ça marche?», Gallimard Jeunesse, © «Nowhere girl», Dargaud)

J’ai compris que les livres pouvaient «sauver»
«Comme mon père travaillait sur l’apprentissage de la lecture, il avait de nombreux livres jeunesse dans son cabinet, tous estampillés Dr Lehuche», se souvient Magali. «Peut-être est-ce comme cela que j’ai compris que les livres pouvaient jouer un rôle salvateur». En parlant de sauvetage: la bonne réaction de ses parents permet de dédramatiser la situation lorsque Magali développe une phobie de l’école. Un épisode autobiographique difficile qu’elle raconte dans le roman graphique Nowhere girl (Dargaud). «Mon père avait des patients enfants qui ne fonctionnaient pas dans le système scolaire», poursuit-elle, «et mes parents étaient conscients que ce système ne convenait pas à tout le monde». Mais comment s’est développée sa phobie? «La honte est venue très vite», répond l’autrice-illustratrice. «À l’école maternelle déjà, j’avais l’impression de ne pas arriver à être une élève sage alors que je le désirais ardemment».

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Un malaise scolaire qui grandit et une étrange gaîté dans les bras des Beatles: devinez quel monde Magali la collégienne préfère? (© «Nowhere girl», Dargaud)

La situation empire au fil du temps. Adolescente, Magali craint tellement d’être interrogée et de rater qu’elle a constamment mal au ventre. Une solution est trouvée après consultation d’une psy: Magali va suivre des cours par correspondance depuis chez elle, seule, pendant près de deux ans. «Un petit peu comme vous lorsque vous suiviez les cours en ligne pendant la pandémie», explique-t-elle aux élèves de Francfort, «sauf qu’il n'y avait pas de pandémie».

Phobie de l’école et amour des Beatles
Nowhere girl retrace le processus d’isolement mais aussi ce qui, dans cette épineuse phase, permet à Magali de garder la tête hors de l’eau. Au départ, l‘autrice-illustratrice voulait raconter son amour pour quatre jeunes gens dans le vent, Paul, John, Georges et Ringo. «Je me suis replongée dans mes souvenirs, et quand j’ai évoqué ma phobie scolaire, mon éditrice m’a dit: C’est cette histoire-là que tu dois raconter». Bien vu, car le thème fait mouche, pas seulement au Salon du livre et de la presse jeunesse (SLPJ) de Montreuil ou à la Foire de Bologne où Nowhere girl se voit attribuer respectivement une pépite dans la catégorie BD et une mention spéciale au prix Bologna Ragazzi, mais aussi lors de rencontres avec des jeunes, comme celle organisée par l’Institut français à l’École européenne de Francfort. Magali confirme: «Je reçois énormément de messages de jeunes en souffrance scolaire. À Paris, Francfort et ailleurs, nombreux sont les nowhere girls and boys».

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La photo d’époque et l’équivalent dessiné par Magali Le Huche, qui lit aux élèves des cartes postales qu’elle écrivait à son groupe préféré (© Magali Le Huche privé, © «Nowhere girl», Dargaud,  © Institut français Frankfurt)

Et comment expliquer sa «Beatlemania»? «Je me sentais comme Alice au pays des merveilles, j’ai suivi leur musique comme elle le lapin», répond Magali. «Les Beatles sont les premiers à avoir fait du collage musical, ils se sont amusés avec le son et leur musique raconte des histoires. Leur amitié me fascinait aussi». À Francfort, l’autrice-illustratrice lit quelques-unes des cartes postales que la groupie qu’elle était adolescente écrivait (mais n’envoyait pas toujours) aux «Fab Four».

Des ateliers de dessin de 4 à 20 ans, puis les Arts Décos
Comment a-t-elle appris à dessiner? «Mes parents m’ont très vite encouragée, ils m’ont inscrite dès l’âge de quatre ans aux Ateliers de l’arbre et j’y suis restée jusqu’à mes 20 ans». Après avoir réintégré le lycée et passé le bac, Magali Le Huche fait une année d’arts plastiques à l’université puis une année de «prépa» à l’Atelier de Sèvres avant d’être acceptée aux Arts Décoratifs à Strasbourg. Elle y reste de 1999 à 2004: «deux années touche-à-tout et trois en illustration avec Claude Lapointe» résume-t-elle. Elle ne rencontre aucune difficulté à intégrer le monde professionnel. Trois (!) de ses projets de diplôme sont édités: la collection Sac à bisous chez Tourbillon (Bayard), Bertille Bonnepoire a le cafard… chez Sarbacane et Les sirènes de Belpêchao chez Didier Jeunesse qui remporte même un prix Sorcières. «Très vite», explique Magali, «j’ai reçu des commandes de différents éditeurs. Au début je disais oui à presque tout. En 2008, quand je suis devenue maman, j’ai pensé qu’il fallait que je choisisse davantage».

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Compère Lapin, un héros dessiné par Magali Le Huche revisité par une élève de l’École européenne de Francfort, «Les sirènes de Belpêchao», un travail de fin d’études récompensé par un prix Sorcières et une nouvelle série de dessins à raies (© Lana-Rose, École européenne de Francfort, © «Les sirènes de Belpêchao», Didier Jeunesse,  © Compte Instagram Magali Le Huche)

Magali Le Huche est une autrice-illustratrice plutôt prolifique: sa bibliographie compte une centaine d’albums. De quels titres est-elle particulièrement fière? «Hector l’homme extraordinairement fort, Rosa-Lune et les loups, les albums de Jean-Michel, La tribu qui pue, Vive la danse! ou La grande course des Jean…», répond-elle spontanément.  L’illustratrice aime mettre en images les textes de Julien Baer comme Trois histoires vraiment bien. Un album qui n’a pas marché mais qu’elle adore quand même? La vérité sur les habitants des autres planètes.

Un ornithorynque qui se pose des questions, un caribou super-héros et un chien mélomane
Sa nièce lisait Oui-Oui d’Enid Blyton, cela lui a donné l’idée d’inventer Non-Non, un ornithorynque qui se pose beaucoup de questions. Jean-Michel (Super-Edgar en allemand) est un caribou et un super-héros mais très humain et non dépourvu de doutes. «Je fais un album de Jean-Michel par an, c’est comme un ami que je retrouverais chaque année. J’adore dessiner ce personnage», commente Magali. Son roi des ventes, c’est Paco (Poppy en anglais), un chien mélomane qui fêtera ses 10 ans en 2024 et dont les promenades dans le monde de la musique se sont vendues dans 18 pays. «Les puces sonores des albums sont de grande qualité», précise l’autrice-illustratrice, «et le succès de cette série me permet de pouvoir refuser certaines propositions ou de me lancer dans des projets plus risqués».

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Magali Le Huche n’a pas son pareil pour mettre des animaux dans tous les états: un lama qui lit, un crocodile et un chien qui dansent comme Travolta et un poney qui se réjouit (© «Trois histoires vraiment bien», Les fourmis rouges, © «Paco et le disco», Gallimard Jeunesse, © «La tribu qui pue», Sarbacane)   

«J’ai un moment été attirée par le film d’animation», confie Magali Le Huche, «mais le livre pour enfants me convient mieux car je peux travailler seule, un peu comme au temps où je suivais l’école par correspondance». Plusieurs de ses héros comme Non-Non et Jean-Michel, ont été adaptés et sont devenus animés. C’est grâce à la série (pas pour enfants) Mères anonymes qu’elle a rencontré Pauline Mermet, son éditrice chez Dargaud. Même Verte de Marie Desplechin, que Magali Le Huche a adapté en BD, pourrait devenir un long métrage d’animation.

Champagne-Mouton et autres projets
Malgré son énorme production éditoriale, l’autrice-illustratrice trouve le temps de se transformer en organisatrice de fête littéraire jeunesse en Charente «non maritime» précise-t-elle, chaque été. «Cela s’est fait peu à peu, avec la complicité de la librairie Livres et vous de Ruffec et surtout parce que c’est là que se trouve une maison familiale qui peut accueillir quelques collègues», raconte-t-elle. Qu’on se le dise, Champagne-Mouton sera, le temps d’un week-end (celui du 10 juin 2023) et pour la 4e fois, «the place to lire».

Dans les projets sur lesquels l’autrice-illustratrice travaille en ce moment, on trouve un nouvel album de Paco et l’adaptation en BD du roman de Clémentine Beauvais Les petites reines.

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Ambiance champêtre à la fête du livre jeunesse de Champagne-Mouton, rencontre scolaire à Francfort (© Facebook fête du livre jeunesse de Champagne-Mouton,  © Institut français Frankfurt, © Institut français Frankfurt)

Magali est aussi occupée à écrire et dessiner une BD qui raconte, comme Nowhere girl, un moment difficile de sa vie en même temps qu’une découverte musicale. «J’ai eu le coup de foudre pour Joe Strummer, le guitariste chanteur du groupe Clash, à un moment où j’avais besoin d’énergie pour me battre contre la maladie» explique-t-elle.

Après une naissance yéyé et une adolescence yeah yeah yeah Magali serait-elle devenue une adulte punk? «L’énergie vitale de ce mouvement me plaît», répond celle qui dit adorer la musique encore davantage que le dessin. «C’est souvent elle qui m’a ouvert des perspectives dans des moments où je n’en voyais plus», explique-t-elle.

«Mais même si le sujet de ma future BD est grave je ne serai pas larmoyante», précise-t-elle, «ce qui m’intéresse, c’est comment raconter les choses pour pouvoir les vivre». D’ailleurs, c’est cela que Magali Le Huche apprécie tout particulièrement dans la littérature de jeunesse: «que l’on puisse raconter le monde, grave ou léger, avec un ton décalé».

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Magali Le Huche

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