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Benoît Séverac: «L'écriture, c'est très souvent des remises en question.»

Eloïse Murat
20 juin 2018

Benoît Séverac est un auteur de romans noirs, de romans policiers et de nouvelles. Depuis plus de 11 ans, il a publié environ 12 romans pour adultes et adolescents dont L’Homme-qui-dessine (éditions Syros, 2014) et Une caravane en hiver (éditions Syros, 2018). Avant de devenir auteur, il a exercé plusieurs métiers; des bars aux monuments funéraires, du berger au professeur de judo, il a expérimenté différents domaines, ce qui lui permet de connaître en profondeur certains milieux et de trouver l’inspiration pour ses romans.


Benoît Séverac

Eloïse Murat: Comment êtes-vous devenu auteur?
Benoît Séverac: J’écrivais depuis mes 8-10 ans, mais je n’ai jamais cru que je deviendrais auteur. J’ai toujours eu envie de raconter des histoires, j’ai toujours été curieux des autres. J’ai fait des études de littérature anglaise et américaine. Je tiens cependant à préciser qu’il n’y a pas besoin de faire des études de littérature pour devenir écrivain: si vous aimez raconter des histoires, si vous aimez lire, cela suffit amplement. J’ai exercé plusieurs métiers, qui me passionnaient pendant un ou deux ans, puis je finissais par vouloir changer. Un jour, j’ai gagné le concours de nouvelles du Lecteur du Val, l’association bénévole de 28 bibliothèques du Lauragais. Ça a été une prise de conscience tardive pour moi: je me suis rendu compte qu’un public averti pouvait apprécier ce que j’écrivais et cela m’a encouragé. J’ai continué à écrire et j’ai essayé d’être publié. Cela a pris beaucoup de temps. Un éditeur a lu ma nouvelle publiée pour le concours et m’a proposé d’écrire une autre nouvelle sur le canal du Midi dans le cadre d’une commande. Et la visibilité que m’a donnée cette nouvelle a permis de me faire connaître auprès d’un autre éditeur qui a publié mon premier roman. Ensuite, tout s’est enchaîné. Je ne me suis réellement considéré comme auteur que lorsque j’ai dû déclarer mes revenus en tant qu’écrivain aux impôts. C’est à partir de là que je me suis senti légitime à me présenter comme étant écrivain. J’ai publié des nouvelles dans Les Cahiers d’Adèle et dans la revue Gibraltar de Toulouse. Aujourd’hui, pour mes romans, je suis publié notamment en jeunesse aux éditions Syros et en adulte aux éditions de La manufacture de livres pour les romans noirs. Je viens également de coécrire avec Hervé Jubert le roman policier Wazházhe (autre nom des Osage, tribu indienne d’Amérique du Nord) aux éditions Le Passage. Je suis aussi professeur d’anglais à l’école vétérinaire de Toulouse.

Jubert/Séverac

Comment trouvez-vous l’inspiration pour vos romans? Quelles sont vos techniques d’écriture?
Mon inspiration vient du monde et de l’actualité. Par exemple, pour Une caravane en hiver, mon inspiration vient directement des réfugiés syriens qui sont arrivés à Toulouse. Mes romans noirs sont des coups de colère de ma part sur des injustices qui m’ont choqué et que j’aimerais faire connaître. Lorsque je choisis d’écrire sur un sujet, je me documente énormément par la presse, des magazines avec des dossiers spéciaux, je pars rencontrer les personnes concernées, je discute avec elles. Par exemple, pour mon roman 115 (La manufacture de livres, 2017), je suis allé à la rencontre des sans domicile fixe de Toulouse pour avoir leur version des faits, pour les comprendre. Je cherche à nuancer les propos; pour moi, rien n’est noir ou blanc, tout est gris. Je préfère largement la vision subjective de quelqu’un ayant vécu quelque chose que la vision objective d’un journaliste ou d’un sociologue. Avant de me lancer dans l’écriture de mon nouveau roman, je réfléchis davantage à mes personnages qu’à l’intrigue elle-même. Il faut que mes personnages soient vivants dans mon esprit, qu’ils aient un caractère et un passé bien définis avant que je me mette à écrire. Une fois que tout est clair pour moi, l’intrigue se tisse d’elle-même. Ce sont les personnages qui font l’histoire et non l’inverse. Je ne rédige pas de plan de mon récit; j’ai en tête les grandes lignes de l’histoire et j’écris. Parfois, tout en écrivant, il m’arrive de me rendre compte de certaines choses et de changer ce que j’avais prévu dans l’intrigue. L’écriture, c’est très souvent des remises en question.

Pouvez-vous nous parler de quelques lectures qui vous ont particulièrement marqué ou qui ont influencé votre écriture?
Comme pour tous les métiers que j’ai exercés, je suis passionné par un genre à la fois. Par exemple, lorsque j’ai découvert la littérature russe, j’ai lu beaucoup d’auteurs russes pendant un temps. Puis je suis passé aux auteurs sud-américains. Je n’ai pas un genre de prédilection, mais si je devais choisir mes préférés, ce serait l’expressionnisme allemand, les romans noirs anglais et américains et la littérature française du XIXe siècle (notamment Flaubert, Balzac et Maupassant). Enfant, j’adorais Jack London et je pense que ça m’a définitivement marqué.

Jusqu’à présent, vous avez essentiellement écrit des romans noirs et policiers. Pourriez-vous nous expliquer la différence entre ces deux genres? Qu’est-ce qui vous attire particulièrement chez eux? Participez-vous à des événements littéraires liés au polar?
Pour moi, et d’après plusieurs universitaires et spécialistes, le roman policier se base sur une enquête, son but est de résoudre une affaire, de faire triompher le bien et de soigner la société, alors que le roman noir s’intéresse davantage à l’origine du mal. Le roman policier se focalise sur l’enquêteur là où le roman noir se focalise sur le criminel et son environnement social. Dans le roman noir, le criminel n’est pas forcément puni à la fin. Il existe également le genre du thriller (to thrill en anglais signifie «faire frémir»): son but est d’effrayer le lecteur; en cela, il a un peu la même fonction que les contes pour enfants. En lisant un roman policier ou un thriller, le lecteur se divertit mais ne pense pas que l’histoire qu’il lit est vraie. C’est pour cela que je préfère écrire des romans noirs: dans cette littérature, on pervertit le regard du lecteur, on fait en sorte qu’il prenne conscience que ce qu’il lit reflète une réalité de notre société. On est dans le domaine du réalisme. Mais je ne dirais pas que je choisis d’écrire des romans noirs: c’est le genre qui s’impose à moi, dès que j’ai une histoire à raconter. Certaines injustices me mettent en colère. Au lieu de pester dans mon coin, je préfère écrire.
Oui, les salons dédiés au roman policier sont nombreux et je suis régulièrement invité. Par exemple, je suis souvent à Toulouse Polar du Sud, à Un aller-retour dans le noir à Pau et à Lisle-noir à Lisle-sur-Tarn. J’étais l’an dernier au festival Quais du polar à Lyon, et récemment à Colères du présent à Arras. La liste est longue. Je fais de nombreuses interventions scolaires également.

Sur votre site internet, on trouve la phrase: «L’enquête policière n’est souvent qu’un prétexte à une littérature traversée par des thèmes profonds et touchants, et une étude quasi naturaliste de notre société.» Pourriez-vous l’expliquer?
Ce n’est pas le contexte qui est un prétexte pour écrire une enquête policière. C’est l’enquête policière qui est un prétexte pour tenir un propos sociétal, pour inviter le lecteur à découvrir un pan de la société. Pour autant, il ne faudrait pas croire que le roman noir doit avoir une fonction utilitariste. Il faut garder à l’esprit que le roman noir reste de la fiction, ce n’est pas un reportage ni une enquête sociologique. Je recherche l’esthétique dans mes romans, je cherche à susciter des sentiments chez le lecteur. Le roman noir n’a pas pour but de servir à quelque chose, il n’est pas politique. Je préfère retranscrire des phénomènes à travers une littérature romancée plutôt que d’essayer d’établir une vérité et délivrer un message moral. Dans mes livres, tout est de la fiction, sauf les sentiments de mes personnages.

Quels thèmes abordez-vous dans vos romans?
Dans chacun de mes romans, j’aborde un thème nouveau. Dans Une caravane en hiver, ce sont les réfugiés syriens; dans 115, ce sont les sans domicile fixe et les trafics de prostitution; dans Trafics (Pocket, 2017), c’est la montée de l’islam radical et les trafics de drogue dans les cités; dans Little sister (Syros, 2016), ce sont les personnes qui vivent la radicalisation et le départ au djihad de leur proche; dans Silence (Syros, 2011), c’est la drogue chez les jeunes. Je cherche toujours à traiter des thèmes de société que j’ai remarqués; mais pas forcément des thèmes d’actualité. Un fait divers n’a d’intérêt que s’il traduit une tendance de fond de la société.

Une caravane en hiver est votre dernier roman paru aux éditions Syros en mars 2018. Ce texte raconte l’histoire d’un adolescent, Arthur, qui devient ami avec un réfugié syrien de son âge, Adnan, et qui fait tout pour l’aider, lui et sa mère. Cette histoire d’amitié inattendue bouleverse le quotidien d’une famille française et incite le lecteur à considérer la situation des réfugiés syriens sous un angle plus personnel, plus réaliste aussi. Comment vous est venu l’idée de ce roman?
Cet ouvrage était tout d’abord un coup de colère de ma part. J’ai été choqué par la manière dont la mairie de Toulouse et la préfecture de la Haute-Garonne ont géré les réfugiés syriens; par le fait que l’office HLM ait porté plainte contre ces réfugiés pour l’occupation illégale d’un bâtiment dans le quartier des Izards qui était de toute façon destiné à la destruction, bien que la population locale les ait bien accueillis. L’office HLM a demandé un loyer rétroactif à ces réfugiés, sachant qu’ils avaient tout perdu et qu’ils fuyaient la guerre, exactement comme nous en 1940. Depuis l’accueil des réfugiés syriens s’est organisé. Je ne suis pas un militant de la cause syrienne, je ne prétends pas apporter de solution ni donner de leçon à travers mon roman. Je voulais juste aborder ce thème et montrer que, collectivement, nous ne faisons pas ce qu’il faut.

Une caravane en hiver

À l’image d’Adnan qui a quitté son pays pour fuir la guerre, les personnages qui peuplent vos romans pour la jeunesse se situent fréquemment «en marge» de la société. Ainsi, dans Silence et Le garçon de l’intérieur (Syros, 2013), le protagoniste est atteint de surdité; dans Little sister vous mettez en scène un jeune homme parti faire le djihad. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette démarche? L’écriture est-elle pour vous un moyen d’attirer l’attention de vos lecteurs sur des sujets d’actualité ou de les sensibiliser aux difficultés que peuvent rencontrer certaines personnes?
Il est vrai que je suis sensible au sort des personnes différentes, aux minorités qui peuvent subir des injustices. Je suis sensible au racisme, à l’homophobie, à l’inégalité des droits homme-femme, au regard que l’on porte au handicap. J’écris des livres pour parler de tout cela et sensibiliser les lecteurs sur ces minorités.

Quels sont vos romans qui ont eu le plus de prix littéraires? Y êtes-vous sensible?
Silence et Little sister sont des romans qui ont eu énormément de prix littéraires. Je suis particulièrement sensible au fait que ce sont des prix décernés par les lecteurs, par des collégiens ou des lycéens, par les usagers d’une médiathèque, car ils reflètent l’avis sincère des gens à qui s’adressent mes romans. Je ressens une immense joie de savoir que j’ai réussi à toucher mes lecteurs.

Silence et Little sister

Quelles sont les différences entre vos romans pour adultes et vos romans pour la jeunesse? Est-ce que ce sont deux manières différentes d’aborder l’écriture?
Pour moi, la difficulté d’écriture pour les adultes et pour la jeunesse est la même. On retrouve les mêmes techniques, les mêmes difficultés et les mêmes exigences. Et contrairement aux a priori, écrire pour la jeunesse n’est pas plus facile. Pour ma part, j’écris en moyenne 1 500 signes par jour, que ce soit pour un texte pour adultes ou un texte jeunesse. Les rares différences résident dans le niveau de langage et dans les personnages: je ne vais pas utiliser les mêmes mots pour m’adresser à des adolescents et je vais adapter la tranche d’âge de mes personnages à mon public; des lecteurs adolescents seront plus sensibles à des héros adolescents. Selon ce que j’ai à dire, selon l’histoire que je souhaite raconter, je décide de cibler un public jeunesse ou adulte. Malgré un travail tout aussi ardu pour les deux styles, malheureusement, les auteurs pour la jeunesse continuent d’être moins payés que les auteurs pour la littérature adulte, ce que je trouve regrettable.

Et enfin, quels sont vos futurs projets?
J’ai plusieurs projets de futurs livres mais je n’en parlerai pas tant qu’ils ne seront pas sur le point d’être publiés. Je serai présent à différents salons de romans policiers. Vous pourrez me retrouver au festival Polar, Vin et Compagnie de Millau les 15 et 16 septembre, au festival Lisle noir à Lisle-sur-Tarn les 22 et 23 septembre, au festival Un aller-retour dans le noir à Pau du 6 au 7 octobre et au salon Toulouse Polars du Sud à Toulouse les 13 et 14 octobre. Vous pourrez également retrouver mon agenda et toutes mes informations sur mon site internet.

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Benoît Séverac

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