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Anne Cortey et son univers sensible

Gaëlle Farre
8 août 2017

Interview avec Anne Cortey à l’occasion de la parution au premier semestre 2017 de deux nouveaux albums, Au fond des bois (illustré par Julia Wauters et paru chez Sarbacane) et Le souffle de l’été (illustré par Anaïs Massini et paru chez Grasset jeunesse).

Gaëlle Farre : Parlez-nous de vous et de l’écrit.
Anne Cortey : Mon goût pour l’écrit vient sans doute de mon grand-père Joseph. Il était paysan, mais j’ai davantage de souvenirs de lui penché sur ses livres que dans ses champs à cultiver. C’était un gourmand de nourriture, de bon vin, mais aussi des mots qu’il savourait comme s’il dégustait un mets délicieux. Il récitait, lisait à haute voix, chantait. Il m’a montré qu’on pouvait être terriblement vivant avec la littérature.
 
Etant fille unique, les livres ont pris une place de fidèles compagnons. Les histoires ont nourri mon enfance. L’édition jeunesse n’était alors pas riche comme aujourd’hui et le passage par les collections de la Bibliothèque Rose et Verte était assez incontournable. Heureusement, j’ai rencontré d’autres livres, comme Hulul d’Arnold Lobel, Comment la souris reçoit une pierre sur la tête et découvre le monde d’Etienne Delessert, Apoustsiak, le petit flocon de neige de Paul-Emile Victor dans une collection du Père Castor que j’adorais, Les enfants de la Terre ; et enfin, plus tard, à l’aube de l’adolescence, Mon bel oranger de José Mauro de Vasconcelos, Le lion de Joseph Kessel ou encore les Chroniques martiennes de Ray Bradbury.
 
Lorsque j'étais enfant, c'était déjà clair pour moi, je voulais vivre avec les livres. Il m’a fallu du temps pour que mon désir s’éclaircisse et que je comprenne que ma place se situait dans l’écriture. Enfant, si j’écrivais des histoires, c’était pour fabriquer des livres. A l’adolescence, la nécessité d’écrire a surgi, mais je n’étais pas encore dans la fiction. J’écrivais des lettres, longues et nombreuses, j’étais dans l’urgence de m’exprimer. Quand la fiction est apparue plus tard, j’ai retrouvé ce même besoin intérieur.

 
On vous sent très proche des arbres et de la nature. Les bois et la forêt sont omniprésents dans Au fond des bois ; de même que la mer et le vent dans Le souffle de l’été… Quel rapport entretenez-vous avec la nature ?
J’ai grandi à la campagne. Mon domaine était les champs, les sentiers des collines, mes rivières étaient les ruisseaux qui s’écoulaient le long des terres cultivables. Je marchais pieds nus, je m’écorchais les jambes et je me coupais mais ce n’était jamais grave. Je grimpais aux arbres, j’y restais des après-midi entières à m’inventer des histoires ; ou la nuit, à observer les passants qui marchaient sur la petite route qui passe devant la maison de mes parents.

J’aime pourtant la ville, mais j’ai besoin de m’extraire de l’agitation pour retrouver le calme et la nature qui me sont indispensables pour écrire.

 

 

© Anne Cortey.
Anne aime photographier la nature, en France (dans les Alpilles) comme au Québec.

 
 
Hors du temps ?
Dans vos livres, il n’y a pas de télévision, de transports en commun ratés ni de course après les minutes ; les saisons sont nommées et le temps n’est pas compté… quelle est votre perception du temps qui passe ? Les livres seraient-ils une manière d’échapper à la course du quotidien ?
Suis-je hors du temps ? Cette question me fait sourire… Je ne sais vraiment pas. Mais ce que j’attends de la littérature, c’est de me nourrir de choses qui sont loin de ma vie. Les livres sont comme des îles où il est bon de se poser. Et j’ai sans doute besoin dans mes textes de me créer une bulle loin de la frénésie de l’époque. Pourtant, dans ma propre vie, j’ai l’impression de courir après le temps en permanence. Mais quand j’écris, je fais une pause avec tout ça.

En ce qui concerne la télévision, je n’en avais pas enfant, ce n’est pas ma culture et elle ne m’intéresse pas plus que ça. Par contre, j’ai grandi avec la radio, avec les voix qui rythmaient mes journées. La radio est toujours présente chez moi, je l’écoute en direct ou en podcast et je deviens un peu collectionneuse d’émissions que je réécoute comme je peux revoir des films qui m’ont marquée.

 
Des valeurs que l’on a pu rencontrer dans vos précédents livres se retrouvent dans vos deux derniers livres – l’importance de l’amitié dans Le souffle de l’été et la puissance de la relation fraternelle dans Au fond des bois. Est-ce un désir conscient que de les mettre à l’honneur ? Souhaitez-vous transmettre des messages à travers vos personnages et vos histoires ?
L’amitié est très présente dans mes livres, comme elle l’est dans ma vie. Ainsi certain(e)s ami(e)s sont devenus des frères et des sœurs de cœur.

Les histoires arrivent, surgissent mais je ne crois pas chercher à transmettre des messages. J’écris avec ce que je suis, avec ce que je connais et découvre. Un fil se déroule phrase après phrase. L’écriture est intuitive. Avec la réécriture, par contre, je réfléchis le texte et le repense.

En ce qui concerne Au fond des bois, l’écriture de l’histoire s’est passée un peu différemment. Julia et moi désirions faire un deuxième livre ensemble après Fanfare. Julia était chez moi, nous discutions beaucoup et l’idée d’écrire sur deux sœurs est venue assez rapidement. Julia me parle souvent de sa sœur avec qui elle a une très jolie relation. Et moi qui ne l’ai pas vécue, j’ai eu envie d’écrire sur la fratrie.

 
Comment se font vos livres ?
Vous avez déjà collaboré dans le passé avec Anaïs Massini et Julia Wauters. Choisissez-vous en amont les illustrateurs auxquels vous confierez vos textes ? Ou bien travaillez-vous en duo ?
J’adore travailler en duo. Les illustrateurs avec qui je travaille deviennent souvent des amis et faire un nouveau livre ensemble enrichit notre amitié. C’est une chance de pouvoir partager cela ensemble. Mais pour chaque livre, l’aventure est différente. Il n’y a pas de recette. Parfois l’histoire s’écrit en pensant à l’univers d’un illustrateur, comme j’ai pu le faire avec les histoires de Kimi et Shiro. J’avais alors en tête des dessins d’Anaïs Massini que j’avais découverts chez elle. Je peux aussi, en cours d’écriture, me mettre à penser aux images d’un dessinateur que j’aime beaucoup. Et puis il y a toutes ces histoires que j’écris et dans lesquelles je suis centrée sur le texte. Enfin, j’aime bien aussi parfois laisser le soin à l’éditeur de me proposer celle ou celui qui pourrait s’emparer de mon texte.

 
Des conseils de lecture à nous donner ? Pouvez-vous livrer 2 à 3 lectures qui vous ont marquée récemment et que vous nous conseilleriez ?
Récemment, j’ai eu deux magnifiques lectures : Les invisibles de Roy Jacobsen, c’est une petite merveille qui se passe dans une île norvégienne, l’histoire d’une famille qu’on suit pendant des années, aux prises avec la rudesse d’une existence insulaire. Les courts chapitres sont comme des tableaux.

Je viens de finir le recueil de nouvelles Le cœur sauvage, de l’américaine Robin MacArthur. C’est une découverte très forte qui m’a laissée sans voix. Ces histoires se passent dans le Vermont, on est du côté des marginaux, des gens esseulés, écartelés souvent par le désir de rester sur cette terre et celui de fuir. On y boit beaucoup mais la forêt et les rivières glacées redonnent du sens à cette vie, souvent bancale.

Image de la vignette extraite de l'album Le souffle de l'été. © Anaïs Massini pour l'illustration. © Gaëlle Farre pour la photographie

08.08.2017