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Yves Pinguilly

1 août 2005

Ecrivain voyageur, Yves Pinguilly est né à Brest en 1944. Adolescent, il est marin et navigue sur plusieurs cargos. À dix-sept il a bouclé son premier tour du monde. Féru d'histoire maritime et fin connaisseur du continent africain qu'il fréquente depuis trente ans, il est l'auteur de nombreux romans ou récits ayant pour cadre différents pays d'Afrique. Yves Pinguilly a signé plus de quatre vingt livres à son actif, livres de rêve et de contestation qui ont souvent un parfum de voyage. Ce sont principalement des romans mais il a aussi écrit des nouvelles des albums, des contes, de la poésie, du théâtre et quelques documentaires sur la peinture. Ses livres sont traduits dans une quinzaine de langues et ont reçu de très nombreuses distinctions ! Accueillons, le temps d'une escale, cet écrivain qui a pratiqué mille métiers et frère de Jim Hawkins, le héros de l’île au trésor !


- A quel "héros"/personnage de fiction vous identifierez-vous volontiers ?

Difficile, les héros sont nombreux et selon le jour, la saison, la bonne ou mauvaise humeur les réponses peuvent varier. Cependant celui qui est mon frère depuis si longtemps, dont j’ai lu et relu les aventures au point de faire de lui mon jumeau est certainement Jim Hawkins, le héros de l’île au trésor , de Stevenson. Et puis, pour citer quand même un nom de chez moi, Jim a un cousin -mon cousin donc-, né comme moi à Brest, il s’agit d’Yves-Marie Morgat, dit Petit Morgat. Il habite L’Ancre de Miséricorde, le magasin de fournisseur de navires de son père, qui donne son titre au beau roman de Pierre Mac Orlan.

J’imagine bien Jim ou Yves-Marie se laisser entraîner dans le terrier du lapin par la délurée Alice dont tous les lecteurs ne peuvent que rêver de son Pays des Merveilles… hum.

Mais, il faut l’avouer, puisque les vents alizés m’ont poussé déjà jusqu’à la soixantaine, aujourd’hui, je ressemble assez à une sorte de Jean Valjean heureux de voir des Gavroche et des Cosette lire mes livres.

- Quelle utopie seriez-vous prêt(e) à défendre ?

Beaucoup d’utopies certainement, puisque comme l’a écrit Oscar Wilde, le progrès n’est que l’accomplissement des utopies. Mais, puisque la belle idée communiste a tant été dévoyée, je veux retourner à la source et je suis prêt à défendre bec et ongles la volonté communaliste, communarde, de la grande Commune de Paris. Les Vallès, Varlin, Louise Michel, Théo Ferré, Gustave Courbet… prirent les armes contre un monde mal fait, dans lequel régnait l’injustice sociale. Alors, pourquoi pas, puisque nous vivons dans un monde toujours mal fait où règne toujours l’injustice sociale.

- A part être écrivain ou illustrateur, que rêveriez-vous d'être ?

Aujourd’hui, alors que tout est joué et qu’il ne peut être question de revenir en arrière, je sais que j’aurais aimé être chanteur d’opéra, ténor… Oui, chanter en compagnie de belles disparues telles Kathleen Ferrier ou Cathy Berbérian (Magnificathy comme disait Bério son mari). Bien sûr chanter aussi avec Anne Sophie Vonotter, Cécilia Bartoli, Natalie Dessay. Et puis, il m’arrive, en entrant dans une classe pour une animation autour de mes livres de regretter de n’avoir pas une belle voix de basse pour interpréter aux élèves Les enfantines, de Moussorgsky, aussi bien qu’un Boris Christoff .

- Où écrivez-vous ? Quel est le lieu qui vous inspire le plus ?

J’écris toujours chez moi dans ma maison de Bretagne. Je me suis créé un lieu où bien sûr il y des livres et des livres et des livres, mais aussi des objets (beaucoup de poupées africaines), des photos, des cartes postales, et une mini chaîne pour écouter de la musique (répondant à vos questions j’écoute la trompette de Miles). Plusieurs lieux m’inspirent, ce peut être les grandes villes, les ports, un bout du monde au bord de la mer. Mais en fait, c’est plus les gens qui me touchent et qui déclenchent des envies d’écrire, aussi bien les êtres vivants que les êtres de fiction.

- Quel est le sentiment qui vous habite le plus souvent ?

Pas un sentiment mais au moins deux : le sentiment amoureux et avec lui la révolte devant les dérèglements du monde, devant donc la mort programmée des enfants par exemple. Je ne cite que cet exemple –la mort programmée des enfants-, pour faire court, mais j’ai une longue liste et beaucoup de preuves…

- Quel(s) genre(s) de livre(s) vous tombe(nt) des mains ?

Peu de livres me tombent des mains, parce que je suis prudent avant d’ouvrir un livre. Loin de moi donc les autofictions mégalo-démago et cul cul la praline… Loin de moi la littérature française qui passe son temps à se regarder elle même. Côté jeunesse je me méfie comme de la peste de ces romans qui ont pour prétexte les problèmes de société sans jamais aborder le MAL. Le grand MAL je veux dire, celui qui ronge et tue, celui qui reste en soi comme une plaie mal cicatrisée qui va faire naître pourriture et explosion. Sans le MAL, le Grand Mal, les problèmes de société ne sont le plus souvent en littérature de jeunesse qu’un moyen de plus d’étriquer la réalité, à l’usage des bons enfants qui doivent bien grandir dans le droit chemin.




- Que redoutiez-vous enfant ?

Rien ! Je n’avais pas peur d’être abandonné par mes parents, pas peur d’avoir une mauvaise note (j’étais un mauvais élève). J’avais peur du noir, c’est tout, sans imaginer précisément ce en quoi le noir me faisait peur. Pfuitt… ça m’a passé du jour au lendemain vers dix ou onze ans.

- Vous arrive-t-il de côtoyer des êtres imaginaires ?

Oui, pratiquement chaque jour. Avant de reprendre mon travail, l’après midi, je marche toujours dans les chemins creux et les petits bois près de chez moi. Je parle alors à de nombreuses fées, je parle aux souches (J’ai appris en pays Sar, au Tchad, que les souches sont des génies).

- Que feriez-vous ou diriez-vous à un ogre s'il vous arrivait d'en croiser un ?

Par politesse, je lui dirai « bon appétit » sans doute. Mais j’avoue, je préférerais rencontrer Mami Wata et l’inviter à danser entre deux eaux troubles… ou Viviane à laquelle je dirais que cette fois je suis prêt non seulement à aller avec elle, main dans la main, pour parler comme nous l’avons déjà fait du bien et du mal, mais à partir cœur à cœur jusqu’au Val sans retour.

- Qu'avez-vous conservé de l'enfance ?

L’esprit de révolte (on y revient !). La certitude que rarement les enfants ont raison au pays des hommes.

- Selon vous, qu'est-ce qui fait vendre un livre ?

Rarement le talent de l’auteur, même si l’on veut croire que cela arrive quand même… Souvent la capacité commerciale de l’éditeur qui a un bon attaché de presse. Un bon attaché de presse, souvent, ça vaut tous les talents du monde !
Si j’étais méchant, je citerais quelques titres de littérature jeunesse ayant bien marché ces dernières années (titres oubliés) mais dont les chiffres de ventes furent bon ou très bons. Je pense à un titre de chez Actes Sud… un titre de Chez Michalon… un titre de chez… J’arrête.

- Quel qualificatif vous colle à la peau ?

Aujourd’hui je ne sais pas. Certains disent que j’ai mis de l’eau dans mon vin, ils se trompent, je mets toujours beaucoup de vin dans l’eau que l’on me sert ! Il y quelques années il me semble que l’on me qualifiait avec des gros mots du genre malotru, contradicteur, farouche, ours mal léché.




- Quelle est la meilleure phrase qu'un enfant vous ait dite ?

Bleu plus bleu égale quatre.

- Quelle est votre définition du bonheur ?

Sur un plan intime, c’est certainement boire un verre de bon Champagne juste frais, après avoir fait l’amour comme un fou avec la femme que j’aime. Sur un plan plus général, ce pourrait être voir une jeune mère allaiter son bébé en souriant alors qu’elle vient d’apprendre que le capitalisme n’existe plus et que les hommes sont prêts à s’aimer les uns les autres.

- Si vous aviez la possibilité de recommencer, que changeriez-vous ?

C’est une question que je ne me suis jamais posée. On n’a qu’une vie ! J’ai été gâté dans cette vie (sans jamais avoir le moindre petit morceau de fortune ou de pouvoir). Alors, je réponds légèrement : je me laverais les dents régulièrement deux fois par jour dans l’enfance, ce que je n’ai pas fait !

- Enfant, quel genre de lecteur étiez-vous ?

Je n’étais pas lecteur. Je n’avais pas de livres ! Je ne me souviens d’aucune lecture avant l’âge de 14 ans. Mais là, ouille je me suis mis à lire comme un fou !

- Vis-à-vis de quoi vous sentez-vous impuissant ?

Certainement vis à vis du temps qui passe !

- Quel est l'animal auquel vous ressemblez le plus ? Pourquoi ?

Peut-être une fourmi de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête. Pourquoi ? Parce que… ça n’existe pas !

- Quel est le mot que vous préférez dans la langue française ?

« Le » mot c’est peu, trop peu… alors disons « réfractaire », mais pourquoi pas « camarade » pourquoi pas « irrégulier ».

- Que souhaiteriez-vous que l'on retienne de vous ?

Le fait que j’aurais vécu libre, éclatant de rire ou crachant devant les titres ou rubans que les écrivains et artistes acceptent ; que j’aurais eu beaucoup d’admiration pour des hommes de la trempe de Nelson Mandela ou d’Auguste Blanqui…
Bien sûr si l’on retient par ci par là quelques bonnes phrases en plus…



Vos livres

- Quelle est votre dernière sortie pour la jeunesse ?

« Direct au cœur », roman publié en septembre 2005 par les éditions du Jasmin.

- Le(s) livre(s) dans votre production dont vous êtes particulièrement fier ou qui vous laisse(nt) un souvenir particulier
Ils sont nombreux et je ne voudrais pas paraître pédant et en citer trop ! Alors, par ordre chronologique voici seulement quelques titres : « l’été des confidences et des confitures », roman, éditions Rageot. C’est mon premier roman. Ce fut un joli succès, il fut vendu pendant vingt cinq ans. Il est sorti il y a peu du catalogue de l’éditeur. « Il était une fois les mots », anthologie poétique publiée aux défuntes éditions La Farandole. Ce livre reçut le premier grand prix graphique à la foire de Bologne. Il inaugurait ma collaboration avec l’artiste André Belleguie. « L’amour baobab », éditions Hachette le livre de poche. Ce titre publié par Françoise Hessel (Françoise Lanzman à l’époque) avait été refusé par tous les éditeurs. Elle eut le courage de le publier et il eut un grand succès (plus de 200 000 exemplaires vendus). Je saute au-dessus d’une quinzaine de titres dont j’aimerais parler et je citerai « Lîle de la lune » roman paru chez Milan. C’est un de mes romans maritimes, représentatif de mon travail dans le genre Aventure. Encore, « Verdun 1916 un tirailleur en enfer », roman paru chez Nathan. C’est toujours, je crois, le seul roman qui rend hommage aux tirailleurs Sénégalais de la première guerre mondiale. Ma connaissance très fine de l’Afrique et le métissage de mon cœur, apparaissent au fil des chapitres. Côté album, il me faut citer « la couleur des yeux » paru chez Autrement. Ce fut le début d’une nouvelle collaboration avec Florence Kœnig, quelle chance ! Et puis très récemment, « Ploc Ploc Tam Tam » paru chez Bilboquet avec des images de Frédérick Mansot. Texte sur les enfants dans la guerre, en Afrique, sur la peur d’une petite fille quand les rebelles entrent dans son village.

Dix titres sont à paraître, je choisis parmi eux « Les sanglots longs des violons de la mort », petit roman que j’ai écrit à partir du témoignage de Violette Jacquet (Violette Silberstein) rescapée des camps de la mort, qui fit partie de l’orchestre mis en place par les nazis à Auschwitz-Birkeneau. Ce titre est à paraître en novembre 2005 aux nouvelles éditions Oskarson.

- Quel est le thème que vous aimez davantage traiter ?

Je n’aime guère parler de thème, je préfère parler d’écriture.

- D'où est né votre premier livre/ illustration ?

C’était un recueil de poèmes, né de la fièvre donnée par Rimbaud, Apollinaire, Cendrars, Maïakovski, Néruda et quelques autres…

- Quel livre en littérature de jeunesse auriez-vous voulu écrire ou réaliser à la place d'un autre ?

Vous l’avez déjà deviné, entre autre, « l’île au trésor » ou « Alice au pays des Merveilles ».

- Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?

J’écris un « grand » roman maritime qui commence à Paris au moment de la Commune (d’où quelques références dans mes réponses ici) pour continuer à Nantes et filer en bateau vers Nouméa avec une escale en Afrique. Après cela et bien des aventures le retour se fera en partie vers les îles des Comores qui sont un point d’ancrage de mes livres maritimes, avant de s’achever… comment ? Je ne sais pas encore !

- Où et comment vous voyez-vous dans 10 ans ?

Il se peut bien que j’écrive encore. Je n’aurais alors pas tout à fait l’âge d’amis comme Jean Joubert ou Yvon Mauffret qui sont des écrivains que j’aime et qui continuent, même s’ils produisent moins.

Et puis, tenant compte de la vie faite aux plus humbles de mon genre, de mon camp, il n’est pas du tout impossible que l’on me voit en tête d’une grande manifestation, porter une banderole sur laquelle ceux qui savent lire pourront lire « Augmentez nos retraites ».



Références


Littérature de jeunesse

- Un livre pour la jeunesse qui vous a marqué petit ?

Aucun livre.

- Quels sont vos auteurs-illustrateurs de référence ou qui pour vous développent une approche intéressante ?

Je préfère ne citer personne, il y a certainement un ami de grand talent que j’oublierais !

- Quels sont vos livres "coups de cœur", les "incontournables" en littérature de jeunesse ?

Idem, je préfère ne citer aucun livre sauf ajouter des classiques aux titres déjà évoqués plus haut, par exemple « Le tour du monde en quatre vingt jours » ou « La guerre des mondes » ou « David Copperfield » et les indispensables « contes des mille et une nuits »


Culture
- Un film, une photo/illustration qui vous touche ?

Ce pourrait être un film de Chaplin, une photo de Doisneau, une illustration de Daumier.

- Un musicien

Monteverdi, mais pourquoi pas Mahler, mais pourquoi pas Gershwin…

- Un lieu où vous aimeriez vivre

Je suis si bien en Bretagne ! Mais, si je devais émigrer, je choisirais peut-être l’île d’Anjouan, ou la ville de Tadjoura, ou Zanzibar, sauf si j’ai un visa pour le Pays des Merveilles…

- Une phrase (une devise) qui vous guide

Il y en a mille phrases ! J’en aime mille… alors dans mon grand sac, j’en récupère une qui me convient aujourd’hui, c’est une phrase du poète Henri Michaux : Préparons-nous à entendre l’espace crier.


Actualité
- Vos dernières (bonnes) lectures ?

Comédia Infantil, de Henning Mankel, éditions du Seuil ; Voyage aux Isles du père Jean-Baptiste Labat éditions Phébus ; Souvenirs d’une morte vivante de Victorine B, éditions de la Découverte ; Deuil interdit de Michael Connelly, éditions du Seuil.

- Un site (sur les techniques graphiques, un auteur-illustrateur, une approche particulière du texte, de la littérature...) que vous souhaitez recommander ?

Le site de l’écrivain Thierry Lenain, site très vivant riche de mille informations. Vite, tapez Thierry Lenain !



http://www.yvespinguilly.com/

Auteurs et illustrateurs en lien avec l'interview

Illustration d'auteur

Yves Pinguilly

française