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L’histoire d’un infâme hippopotame

Dominique Petre
14 décembre 2016


Comment Emmanuelle Polack, doctorante en histoire, en est-elle arrivée à écrire Kako le terrible plutôt que sa thèse ?

 
Des critiques dithyrambiques – dont celle de Marine Landrot dans Télérama en septembre 2013 –, des enfants enthousiastes et même une sélection au Prix de littérature de jeunesse allemand dans la catégorie album… Kako le terrible, une histoire d’Emmanuelle Polack inspirée d’un fait divers du début du siècle, illustrée par Barroux et éditée par La Joie de lire en 2013, est un album atypique, de par son contenu et son manque de censure. Comme l’a écrit Marine Landrot, le jeune lecteur a  « droit à la vérité » : on lui conte l’histoire vraie d’un hippopotame de captivité qui, un matin de juillet 1903, tue son gardien. Mais comment l’auteure a-t-elle eu l’idée d’exploiter cet atroce fait divers ?





 
Tombée par hasard sur une coupure de journal de 1903.
« J’attendais des archives sur l’Exposition universelle de 1900 dont j’avais besoin pour un article à la bibliothèque de recherche du Musée de l’homme », explique Emmanuelle Polack, une historienne qui écrit une thèse sur le marché de l’art sous l’Occupation. « Or ce musée de la place du Trocadéro est un département du Museum national d’histoire naturelle. Je suis tombée par hasard sur une coupure du Petit journal du 2 juillet 1903 qui expliquait l’histoire de Kako l’hippopotame ou plutôt de son pauvre gardien ». L’histoire fascine tellement la doctorante en histoire – « On est sans doute prisonnier de son ethnoculture, j’ai pour ainsi dire élevé mes enfants au Jardin des plantes » – qu’elle la raconte le soir à sa fille et à son fils, âgés alors de 13 et 18 ans. C’est quand ils éclatent de rire qu’Emmanuelle Polack prend la décision de transformer le fait divers en livre pour enfants.
Sur Internet, elle achète un lot de vieilles cartes postales montrant des hippopotames du début du siècle dans des zoos européens. « On remarque que les gardiens n’ont pas du tout le sens du danger, ils semblent avoir oublié qu’un animal sauvage reste un animal sauvage, même en captivité », explique Emmanuelle Polack. Effectivement, les vieilles photos démontrent une vraie promiscuité entre la bête et l’homme. 
L’historienne se documente, sur le fait divers mais aussi sur les hippopotames en général, et apprend des choses étonnantes : « Il faut savoir que Kako, l’hippopotame du Jardin des plantes, n’a pas tué un, mais deux gardiens, à quelques années d’intervalle. Comme quoi la réalité dépasse toujours la fiction… » Et si le mammifère végétarien peut se révéler très dangereux, il a aussi des côtés touchants : « les hippopotames sont des animaux très fidèles, ils se choisissent un partenaire pour la vie », poursuit Emmanuelle Polack, qui ajoute en souriant : « C’est pour cela que j’ai dédicacé le livre à mon mari ».

 
De vieilles cartes postales convainquent l’éditrice et l’illustrateur.
Munie de son histoire et de ses vieilles cartes postales, Emmanuelle Polack arrive à séduire Francine Bouchet, responsable des éditions La Joie de lire. Ce qui est clair, c’est que les cartes feront partie du livre ; contacté pour illustrer le récit, Barroux joue le jeu et les exploite pour habiller les pachydermes du livre d’un gris très historique. « J’ai profité de la documentation amassée par Emmanuelle Polack, explique l’illustrateur. Les collages avec les vieilles cartes postales permettent une sorte de mise en abîme puisqu’à l’intérieur de mon hippopotame se trouve la photo d’un autre hippopotame ». Le texte de l’historienne, un peu suranné, se marie parfaitement avec les illustrations de Barroux dont le gardien Séraphin rappelle le facteur de Jour de fête de Tati. « Je voulais opposer un homme aux allures de brindille à la masse de l’animal sauvage », commente Barroux

 
L’histoire de Kako le terrible fait frémir les enfants, qui adorent cela. « Quand j’ai fait des ateliers basés sur l’album avec des groupes scolaires, les enfants se plaisaient à dessiner  Séraphin le gardien dans le ventre de Kako », raconte l’auteure. Mais le livre peut également servir de point de départ pour une réflexion sur les animaux sauvages en captivité et sur la protection des espèces. Est-ce Kako qui est si terrible, ou les hommes qui l’ont enlevé de son environnement naturel pour en faire une vedette du Jardin des plantes parisien ?



À la Foire du livre de Francfort, Barroux et Emmanuelle Polack se réjouissent

de la sélection de leur Kako pour le Prix de littérature de jeunesse allemand (© Institut français de Francfort)


 
Rencontrée à la Foire du livre de Francfort en octobre dernier, Emmanuelle Polack qui n’a finalement pas eu le prix décerné aux albums était néanmoins comblée. Elle était ravie que son livre existe en allemand et enchantée d’avoir été sélectionnée pour prestigieux prix avec son premier album jeunesse. En venant à Francfort, elle avait fait escale à Coblence et passé quelques jours dans des archives historiques qui l’avaient enthousiasmée. Peut-être y a-t-elle trouvé de l’inspiration pour un prochain album, qu’elle pourra écrire une fois sa thèse terminée ? 

 
décembre 2016