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Commencer par la fin

Claude Lapointe
20 mai 2009



Pour la première chronique de

« l’image dans tous les sens »,

j’ai choisi de commencer par la fin,

et ce n’est pas seulement une pirouette.




La fin d’une histoire est rarement neutre.

Surtout pas en fiction. Elle imprègne, elle qualifie le récit.

Elle est le dernier instant passé avec l’œuvre, juste avant de la quitter.

C’est souvent le sentiment qui reviendra lorsqu’on se remémorera le récit longtemps après, ce sentiment qu’on a eu en refermant le livre.

Comme beaucoup d’entre vous sans doute, j’aime les fins qui tombent bien, les fins subtiles ou suggérées, celles qui viennent titiller vos idées, vous prendre à contre-pied.

Je déteste les fins bâclées, ou celles qui, sous le grossier prétexte de laisser une totale liberté au lecteur de clore lui-même, laisse toutes les portes ouvertes, à en provoquer des courants d’air ! Attention, il ne faut pas confondre une fin suggérée, infiniment difficile à concocter, et une fin sans prise de position, une vraie facilité.


C’est pendant la formation des jeunes auteurs-illustrateurs à l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, au moment où les diverses phases d’un récit se discutent, se soupèsent, se choisissent, se remettent en cause, que m’est apparue la grande importance de la chute.

Maîtriser la fin est l’un des ingrédients délicat de l’art narratif.

Un metteur en scène - dont je serais heureux que quelqu’un puisse me redonner le nom –

a dit : « Je ne commence un film que lorsque j’ai le dernier quart d’heure ».

Je ne vous transmets peut-être pas ici la phrase exacte, mais je retiens et je partage totalement cette idée. Pourquoi ?

Parce que posséder la fin ou simplement l’idée de la fin facilite la construction du récit, décide même de la stratégie narrative à employer, jusqu’à éclairer la première image, les premières phrases.

Les éléments du récit posés au début entreront alors « en résonance » quand ils seront retrouvés à la fin pour le bonheur du lecteur.

Quand je pense à l’art de terminer une histoire, je ne peux m’empêcher d’admirer les conteurs, et les raconteurs d’histoires drôles. Ils ont ce sens de la chute. Et aussi, curieusement, ce vieil ami qui approche la centaine. En l’écoutant et en lisant ses quatrains qui tombent avec une précision d’horloger, je me suis souvenu qu’il avait été un brillant avocat. Ne pratique-t-on pas, dans les prétoires, l’art de la dernière phrase, du dernier mot qui doit faire mouche ?

Il serait certainement intéressant d’étudier leur pratique de la chute.


Mais une fin bien menée n’est pas seulement la manifestation d’une bonne maîtrise de la technique narrative.

Elle est autre chose, autre chose qui peut même devenir bien embarrassante.

C’est que la fin implique indirectement l’auteur.
Elle le mouille !

En un clin d’œil, en filigrane, on va deviner une morale, un côté didactique, pédagogique, ou une philosophie, une éthique, ou juste l’envie de s’amuser, une légèreté.

La peur d’être trop évident, d’être catalogué surtout, peut pousser à produire des fins assez neutres, un peu floues... ou des évitements...

J’ai pu ressentir cet état d’esprit chez les étudiants. J’ai lu ces fins où l’on se dédouane en se disant que si lecteur est libre, c’est forcément plus génial que si on lui « impose » une fin !

Sauf que le lecteur (comme je le suis avec certainement quelques autres) n’a qu’une envie, c’est justement d’être  « embarqué » par un auteur, là où peut-être, il n’a même pas envie d’aller ! Il n’en a rien à faire d’une liberté trop facilement donnée .


Moi, je préfère que l’auteur s’engage et pouvoir apprécier ou non, applaudir ou réagir.

Tant mieux et bravo s’il parvient à délivrer une parcelle de ses idées, de sa philosophie, de ses délires, de sa folie. Et de préférence avec art, subtilité, légèreté...


J’ai fait partie de nombreux jurys ou groupes critiques. Et là, il faut bien le dire, un auteur qui se mouille se dévoile, prête aussitôt le flanc à la critique, est infiniment plus vulnérable que celui qui reste dans l’obscur, dans le flou, qui évite toute fin « impliquante »*.


Illustration de l’auteur extraite
du Struwwelpeter (Pierre l’Ebouriffé)
de Heinrich Hoffmann



À ce propos, je viens de lire le commentaire de Florian Houssier, psychanalyste, sur les histoires courtes qu’Heinrich Hoffmann a écrites dans le « Struwwelpeter » (Pierre l’Ébouriffé ) (1870). Des récits où les enfants voient s’accomplir les avertissements prodigués au début : ils désobéissent et sont terriblement punis : ils meurent ! Par exemple , Pauline joue avec les allumettes et finit en tas de cendres...

Extrait du commentaire : « ...Ce conte sollicite les fantasmes propres aux liens entre parents et enfants, au cours des dix historiettes illustrées qui le composent. Nous étudions trois de ces histoires, qui ont pour point commun la présence d’un souhait infanticide, expression d’un fantasme primaire lié au fantasme parricide... »

Je ne sais pas trop quelle serait ma réaction si, auteur, j’apprenais qu’en tentant de prévenir les enfants des dangers, je pouvais laisser paraître un fantasme infanticide... Et vous, quelle serait votre réaction ?


Il se trouve que j’ai illustré pour les éditions Harlin Quist une nouvelle version de ce livre et en particulier cette histoire de Pauline.

Je me souviens avoir eu du mal à faire l’image du tas de cendres. J’avais une réticence à dessiner les restes encore fumants de Pauline. J’ai alors pensé dessiner comme dernière image les habits en feu de la petite fille, en me disant : il restera toujours la possibilité que quelqu’un vienne la sauver. Mais le texte lui, ne laissait rien espérer d’autre que l’issue fatale. Je me suis rendu compte qu’il était en fin de compte moins cruel de dessiner le tas de cendres que de laisser le lecteur imaginer Pauline se consumer. Le dessin du tas de cendres est plus immédiat, plus radical. On n’a pas le temps de réfléchir, on est devant la sanction annoncée plus que devant le drame. Je me suis donc résolu à dessiner les cendres de Pauline...




Je me suis rendu compte, au fil du temps, que terminer un récit dans une belle stratégie narrative contemporaine, en évitant de passer pour un vieux moralisateur, un lourd pédagogue, tout en se respectant et en respectant le lecteur, c’est naviguer à ras des écueils.

C’est peut-être difficile, mais bon sang que c’est excitant de passer ce cap dangereux !