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Date

Bernard Friot

1 septembre 2003



Entretien Bernard Friot





Bernard Friot est l'auteur bien connu des "Histoires pressées", mais il est aussi le traducteur de bon nombre de livres allemands pour la jeunesse: faire entendre sa voix derrière les mots des autres est pour lui une activité tout aussi noble que l'écriture. Il nous livre quelques réflexions sur le métier de traducteur et sur les livres pour enfants allemands, qui ne sont pas tout à fait les mêmes qu'en France.





Ricochet - Quelles sont les difficultés propres à la traduction des livres pour enfants ?

Bernard Friot - Il est difficile de parler de manière générale, bien sûr. On constate une grande diversité de formes, de styles, de genres et de tons, et le traducteur pour la jeunesse doit être très souple, très inventif pour s'adapter à cette diversité. Par exemple, chaque album, ou presque, pose des problèmes de traduction différents. Chacun a un fonctionnement textuel propre, en lien avec le rapport texte/image instauré. Plus le texte est court, plus c'est exigeant. Chaque mot, chaque virgule comptent. On peut parler, là, de réécriture, au sens où il faut vraiment retrouver la nécessité de chaque mot, de chaque phrase.

Pour le reste, la difficulté principale est d'obtenir le même niveau de difficulté de lecture dans la langue originale et la traduction. Normalement, un livre traduit devrait s'adresser à un public correspondant à celui du texte original. Or, souvent, un texte traduit présente (et c'est ce qui fait aussi son intérêt) une certaine étrangeté (dans la forme, dans les références culturelles) qui peut l'éloigner d'un jeune lecteur ignorant du contexte dans lequel il est né. Au traducteur de trouver les solutions pour gommer la distance sans perdre rien de cette étrangeté qui est aussi gage d'ouverture. Il faut pour cela beaucoup d'ingéniosité, mais surtout, je dirais, de sensibilité.

(Je me permets, pour une analyse plus approfondie, de renvoyer à mon article " Traduire la littérature pour la jeunesse ", paru dans le numéro 142 du Français aujourd'hui, juillet 2003, consacré à " La littérature en traduction ").




Ricochet - Comment se fait-il que l'on ne mentionne jamais le nom du traducteur quand on présente un album ou un roman pour la jeunesse, comment expliquer ce manque de considération ?


Bernard Friot - En général, le nom du traducteur est indiqué, certes pas sur la couverture, mais en page de titre. Mais j'ai été amusé en lisant, dans les nouveaux programmes pour l'école élémentaire, la liste des livres conseillés pour le 3ème cycle. Sur les 180 titres, 62 sont des traductions, mais cela n'est jamais indiqué (ni langue d'origine, ni évidemment le nom du traducteur !). Pour autant, je ne souffre pas d'un manque de considération. Je trouve même amusant d'avancer „masqué", par exemple quand je lis des critiques de livres que j'ai traduits où on loue la qualité du texte sans indiquer qu'il s'agit d'une traduction. Le lecteur lit le texte à travers ma voix sans le savoir. J'aime bien cette position ! Et puis, la traduction donne beaucoup de satisfactions : celle de surmonter les difficultés, tout d'abord ! Et puis celle de faire mieux connaître des auteurs importants, comme Christine Nöstlinger, Arnulf Zitelman, Miriam Pressler, Quint Buchholz, par exemple.

Ricochet - Une grosse proportion de livres pour la jeunesse sont des traductions. Certains pays sont-ils sur-représentés, et d'autres sous-représentés selon vous ?


Bernard Friot - Il est évident que, pour des raisons d'organisation du marché et à cause de la prédominance de la langue anglaise, la littérature anglo-américaine est sur-représentée. C'est un phénomène culturel, économique et politique qui n'est pas propre à la littérature de jeunesse. Je regrette évidemment la sous-représentation d'autres littératures. La disparition de la Bibliothèque Internationale aux éditions Nathan a laissé un grand vide. Grâce à l'allemand, j'ai accès aux littératures des pays nordiques et de langue flamande qui sont extrêmement riches (on commence à découvrir en France la littérature néerlandaise). Mais la littérature allemande pour la jeunesse est aussi trop délaissée. Aucun roman de Kirsten Boie, le plus grand auteur actuel, deux fois nominée pour le prix Andersen, n'est traduit en français. C'est pour moi incompréhensible.

Ricochet - Quelles sont les principales différences culturelles entre les livres pour enfants allemands et français ?


Bernard Friot - Pour ce qui est de l'album, cela me semble le rapport texte et image. Le modèle dominant en Allemagne reste celui du texte illustré, c'est-à-dire d'un texte écrit au préalable, destiné à être lu à haute voix (Vorlesen) et ensuite illustré. En France, on privilégie un récit où texte et image racontent en complémentarité. Ce sont bien sûr des généralités et je pourrai citer des dizaines de contre-exemples. Mais la tendance est celle-là.

Quant aux romans, la différence est visible ! C'est la taille. Les romans allemands sont plus longs, ce qui est d'ailleurs un des principaux obstacles à leur traduction. Cela est lié à d'autres modes narratifs, une autre façon de raconter. Quand je traduis, j'ai souvent l'impression que le récit est trop explicite et j'ai la tentation de supprimer tel ou tel détail pour obtenir une écriture plus rapide " à la française ". A l'inverse, quand on lit des critiques allemandes de livres français, on trouve souvent les qualificatifs " léger ", " spirituel ", " rapide ". Au-delà, les romans traduisent les différences dans l'approche éducative, sociale, politique et culturelle : les thèmes dominants ne sont pas les mêmes, la réalité représentée non plus.

Ricochet - Vous écrivez aussi vos propres textes pour la jeunesse. N'êtes-vous pas tenté, lorsque vous traduisez le texte d'un autre, d'y ajouter malgré vous un peu de votre sensibilité personnelle, au risque d'en donner une interprétation légèrement différente ?


Bernard Friot - Un traducteur est comme un acteur. Il donne vie à des personnages qu'il n'a pas créés, il doit être doué de mimétisme, être un bon " caméléon ". Mais c'est toujours sa voix qu'on entend, même s'il peut la moduler. Le fait d'être auteur soi-même ne change rien à cela. A l'inverse, la pratique de la traduction m'aide à assouplir mon style, à l'adapter à des projets différents.

Ricochet - Vous êtes-vous déjà heurté à des éditeurs qui vous demandaient de modifier certaines choses dans vos traductions ?


Bernard Friot - Oui, cela arrive. On demande surtout des coupes. L'important est d'arriver à établir une collaboration confiante. J'ai eu la chance, par exemple, de travailler avec Hélène Montardre pour la traduction de plusieurs albums chez Milan. Avec elle, j'ai pu travailler dans le détail, avec le temps nécessaire. J'ai la même qualité d'échanges avec Chloé Moncomble et son équipe (Didier Dalem, Sophie Coulaud, Alice Marchand), toujours chez Milan. Je ne suis pas seulement traducteur, mais aussi lecteur. Je lis énormément de textes allemands et je propose ceux qui me semblent les meilleurs. J'ai donc une vision plus large du projet éditorial, dont il faut bien accepter les contraintes.

Ricochet - Vous publiez régulièrement des articles de recherche sur la lecture et l'écriture. Est-ce votre expérience d'enseignant qui vous a donné envie de vous impliquer dans ce débat?


Bernard Friot - Très tôt, dans mon travail d'enseignant, la question des pratiques de lecture des adolescents m'a intéressé. Ensuite, quand j'étais professeur d'Ecole normale et formateur d'instituteurs, j'ai approfondi la réflexion sur cette question. Pour moi, être lecteur ne résulte pas d'un don, c'est une pratique culturelle transmise par l'entourage (la famille, l'école, le groupe social). Il importe donc que ceux qui l'ont acquise la partagent et la transmettent. Finalement, c'est une question politique, au sens le plus fort du terme.




Ricochet - En 2002, vous avez publié un roman, Folle (éditions Thierry Magnier), qui nous a vraiment touchés, à Ricochet. C'était une surprise, car on vous connaissait surtout dans le registre des histoires courtes, les "histoires pressées", qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire un roman, était-ce le sujet, la dépression nerveuse, qui vous tenait particulièrement à cœur?


Bernard Friot - Je ne crois pas que ce soit un roman sur la dépression nerveuse. Je n'ai d'ailleurs fait aucune recherche sur le sujet. J'ai seulement vérifié auprès d'un psychiatre que le comportement de la mère était vraisemblable. C'est le personnage de Franck qui m'intéresse. J'ai écrit le premier chapitre il y a très longtemps. C'était une scène qui s'était imposée à mon esprit : la réaction d'un enfant qui ne veut surtout pas qu'on lui parle de ce qui lui fait mal (alors qu'aujourd'hui on installe des " cellules d'aide psychologique " à tout propos). Dix ans au moins après avoir écrit ces pages, j'ai voulu connaître " la suite de l'histoire ", et je l'ai donc écrite. La gageure était de faire raconter l'histoire par un narrateur qui ne veut justement pas s'exprimer !




Ricochet - Quelle est votre actualité littéraire en cette rentrée 2003?


Bernard Friot - Trois titres nouveaux en septembre. Tout d'abord, deux textes pour les plus jeunes : Les pieds de Pierre et C'est quoi ton prénom ?, collection Milan Poche Cadet, qui inaugurent la série des " Histoires à la carte ", où je reprends, en l'adaptant, le principe des " Histoires à la courte paille " de Gianni Rodari : un début, trois fins. Un principe ludique développé au cours de mes rencontres avec des enfants.

Et puis un récit autobiographique Un autre que moi, aux éditions La Martinière, dans une nouvelle collection pour adolescents, " Confessions ". Un texte grave et sombre qui surprendra peut-être les lecteurs des " Histoires pressées ".

Enfin, en février, paraîtra, aux éditions Milan (collection Poche Junior), un recueil de poésies sur le thème du langage, de la parole, de la communication. Il s'intitule " A mots croisés ".

Parmi les traductions, je signale un magnifique roman de Monika Feth, à paraître aux éditions Thierry Magnier, sous un titre encore indéterminé ! C'est l'histoire de Dole, 12 ans, qui vit dans une famille de pickpocket et apprend le " métier " pour lequel elle a des dons certains. Et elle tombe amoureuse… du fils d'un policier. Un roman extrêmement chaleureux, plein de vie, de personnages attachants, de scènes remarquablement rendus. A lire absolument !

J'ai aussi beaucoup d'affection pour la série " Jojo Catastrophe ", dans la collection des " Romans de Julie " chez Milan. Pour moi, c'est important que paraissent des textes allemands dans une collection grand public. Et le personnage principal me fait rire même quand je suis en plein travail de traduction ! Je trouve dommage que la plupart des médiateurs ne se donnent pas le plaisir de lire ce genre de livres, au prétexte de ne défendre que la " bonne " littérature pour la jeunesse. Moi j'affirme que cette série est excellente !

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