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Date

Anne Herbauts

20 février 2007

Livres pour la jeunesse, bandes dessinées, courts-métrages, films d’animation, Anne Herbauts aime explorer des pistes de narration sous toutes ses formes. « Je suis dans le texte et l’image à la fois. Entre les deux, l’entre-deux, serait la plus juste définition de mon « lieu de travail », détaille-t-elle. Née en 1975, cette jeune artiste belge suit ses études à l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles en illustration et bande dessinée et à 22 ans, elle donne vie à un premier album, "Boa. Les aventures d'Edouard et Armand" et signe le début d’une collaboration avec l’éditeur Casterman. Aujourd’hui, avec une vingtaine d’albums et plusieurs bandes dessinées à son actif principalement édités chez Caterman, Esperluète et Milan et les éditions de l’An 2, Anne Herbauts poursuit à travers ses livres son exploration du temps, un des ses sujets de prédilection. Lauréate de plusieurs prix en Belgique, elle a reçu une mention à Bologne en 1999, le prix Baobab à Montreuil en novembre 2003 pour « Et trois corneilles... » et tout dernièrement le Prix Pitchou pour ses "Petites météorologies". Arrêtons-nous le temps d’un thé ou d’un café en compagnie d’Anne Herbauts, cette artiste sensible et en perpétuelle recherche, qui a su en peu de temps imposer ses formes d’écriture et sa griffe dans le paysage du livre pour la jeunesse.





Réponses vagues. Vent modéré. Mer forte à très forte au large des côtes. Plage sans bords. Grain léger. Brouillard sur front de mer. Pays de peut-être.

Tout ceci ne risque d’être que pure fiction de marins lecteurs…





- A quel "héros"/ personnage de fiction vous identifierez-vous volontiers ?

Je crois que je n’aime pas les héros.

- Quelle utopie seriez-vous prêt(e) à défendre ?

L’utopie elle-même. Pour toujours imaginer et tenter d’inventer.

- A part être écrivain ou illustrateur, que rêveriez-vous d'être ?

J’aurais peut-être aimé comédienne. Peut-être.

Et s’il n’y avait plus rien, faire du pain. La magie de la farine et de l’eau.

- Où écrivez-vous ? Quel est le lieu qui vous inspire le plus ?

J’écris le plus souvent dans ma tête. Parfois à mon insu.

Quand cela déborde, j’écris, avec des mots, des images. Je m’émerveille.

Le lieu qui m’inspire le plus est le temps. Peut-être ce lieu-là porte-t-il le nom d’interstice ? Je commence seulement à apprendre les mots du temps. Je suis lente.

- Quel est le sentiment qui vous habite le plus souvent ?

Un sentiment n’est jamais seul, ou rarement. Même le sentiment de solitude, l’angoisse du vide, la conscience du néant.

Un sentiment confus.

La crête d’une vague suspendue un instant entre l’immense ventre-océan et le ciel plus grand encore.

- Quel (s) genre(s) de livre(s) vous tombe(nt) des mains ?

Les plus légers de préférence. Cela fait moins mal aux dix orteils.

- Que redoutiez-vous enfant ?

Peut-être, de ne pas tout comprendre.

J’apprivoise seulement maintenant l’idée que l’on ne comprend jamais. Parce qu’il y a le verbe prendre et qu’on ne peut prendre en entier le monde et au-delà. Il faut toujours essayer de comprendre, pour avancer. On ne comprend jamais tout. Alors on invente, on étudie, on cherche, on critique. Ne jamais s’accrocher à des raisons toutes fabriquées. Ne pas s’enfermer dans les dogmes.

- Vous arrive-t-il de côtoyer des êtres imaginaires ?

Je les écris. Plutôt j’écris des mondes imaginaires, parcelles de ce monde-ci. Où est la limite du réel ?

- Que feriez-vous ou diriez-vous à un ogre s'il vous arrivait d'en croiser un ?

L’ogre ? Je lui glisserais un mot grelot dans le O du grand gosier pour l’inviter à ma table. J’aime les gourmands.

Je lui demanderais ensuite s’il n’est pas trop seul, là-haut sur sa tête, car souvent les géants sont un peu à l’écart. Le géant est un grand idiot qui reste à ne dire mot ou dire trop. Ils parlent à grands vocables, à gestes gauches. Comme le loup, ils portent l’habit de menace. Peut-être sont-ils juste maladroits ?

Et puis, des méchants, grands, velus, dodus, nous en avons besoin pour les contes frémissants des forêts sombres la nuit tombant...



- Qu'avez-vous conservé de l'enfance ?

L’étonnement. Oui, peut-être - pour abuser de ce vocable - l’étonnement.

Mais c’est une question de haute mer, Je la laisse en suspens.

- Selon vous, qu'est-ce qui fait vendre un livre ?

J’étais en mer lointaine... nous voilà sur une berge étroite et concrète : un réel trop brutal pour une réponse complète. En morceaux, donc, sans ordre de préférence :

°la couverture

°ce qu’on en dit dans les autres papiers (de toutes sortes...)

°le bouche à oreille

°les premiers mots ou le son du titre (ou son mystère)

°le prix promotionnel du livre dans un hypersupermarché

°le brillant tout odorant du pelliculage tout neuf

°les couleurs gourmandes

°la pile penchée vers le libraire

°le vent des pages

°le pingouin en peluche Taiwan offert comme porte-clef

°la quatrième de couverture qui ne dit presque rien, juste trois grains (de sésame)

°le murmure de la couture

°le diffuseur qui aime le livre

°les pannes de télévision ( ?)

°les fêtes

°les cabanes dans les arbres

°

°

°

à vous de continuer !

- Quel qualificatif vous colle à la peau ?

J’ai sans doute souvent dit (on me le disait aussi) que j’étais « entre guillemets autiste ». Je ne le suis pas du tout. Je suis plutôt du côté de l’idiotie. Je suis une solitaire qui n’aime pas être tout à fait seule, qui apprend la solitude. Peut-être.

J’aime la sonorité de « autisme » qui a un son comme lorsqu’on se bouche les oreilles. L’isme aussi, qui vient comme une île. C’était ce mot-là que je voulais dire.

Mais l’autisme est une maladie trop sombre. Terrible.

Et je dois me détacher du mot.



- Quelle est la meilleure phrase qu'un enfant vous ait dite ?

« C’est encore loin ? »

- Quelle est votre définition du bonheur ?

La réponse « c’est encore loin. »

- Si vous aviez la possibilité de recommencer, que changeriez-vous ?

On ne recommence jamais. On commence toujours. Chaque instant est un moment nouveau. On répète les gestes et les mots pour nous faire croire à hier et demain, pour mettre des bords invisibles au temps. Pour ne pas se perdre. Ou pour oublier.

- Enfant, quel genre de lecteur étiez-vous ?

Vorace.

Je suis très gourmande.

(d’ailleurs, pourquoi dit-on gourmander ?)

- Vis-à-vis de quoi vous sentez -vous impuissant ?

Devant la question posée déjà.

Il n’y a jamais de réponse aux questions. Chaque réponse à une question entraîne une autre question. Vertigineux. Inouï, génial, épuisant, fascinant,humain, vertical, infini, sidéral...

Parfois on répond en tranchant, assénant, guerroyant, prêchant. On s’assied sur une question sans même la regarder. On ne bouge plus. On piétine. On tue, aussi.

- Quel est l'animal auquel vous ressemblez le plus ? Pourquoi ?

J’espère que je ressemble à cet animal fascinant, né du carbone (et quelques autres ingrédients) comme une herbe ou une pierre ou un chat, mais doué de conscience, de mémoire, d’intelligence.

Cet animal qui répond aux questions par des questions, qui a peur, qui aime, qui doute tant.

- Quel est le mot que vous préférez dans la langue française ?

Trop de mots délectables,

trop de paysages,

trop de sons et saveurs,

trop de sens,

trop d’agencements possibles,

trop de moments différents,

trop de racines,

trop de langues voisines,

trop de belles Babels


ou alors une virgule pour marquer le temps et l’énumération, pour noter l’hésitation ou l’abondance et le désarroi, l’enchantement.

Je vous laisse la virgule, mais typographiée. Ecrite, c’est un autre mot.

,


- Que souhaiteriez-vous que l'on retienne de vous ?

J’espère vous échapper !


Vos livres
- Quelle est votre dernière sortie pour la jeunesse ?

Ma dernière sortie fut par temps clément, un brin nuageux. Une ondée, à peine.

« Petites météorologies » pour l’album (Casterman)

« de temps en temps » pour l’inclassable (Esperluète)

- Le(s) livre(s) dans votre production dont vous êtes particulièrement fier ou qui vous laisse(nt) un souvenir particulier

J’aime citer « Vague », « Lundi », « L’Heure Vide » , « Petites météorologies » et « de temps en temps », « l’idiot »...

Des livres-temps. Mais chaque livre est un fil dans l’écheveau du chemin d’écrire et de la question de l’écriture. Les livres se répondent, se prolongent, font écho. Ils se maladressent les uns les autres, à force, ils tiennent un peu debout, dans leur histoire à eux.

- Quel est le thème que vous aimez davantage traiter ?

Le temps

- D'où est né votre premier livre/ illustration ?

De la magie du texte et de l’image énamourés. Et de mon émerveillement de cet amour bien innocent (je ne précise pas si c’est cet amour ou cet émerveillement qui est innocent...)

- Quel livre en littérature de jeunesse auriez-vous voulu écrire ou réaliser à la place d'un autre ?

Question d’eau salée pour boire la tasse !

Je ne pourrais pas écrire le livre d’un autre ou il serait autre. Le livre est écriture. Ce ne serait pas le même livre. Et c’est très bien ainsi.

Réécrire un livre, c’est autre chose. Comme traduire. Le même parcours avec un autre voyage... quelque chose de cet ordre et désordre là.

- Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?

Je travaille sur un projet particulier d’écriture d’un livre-dvd, c’est-à-dire un livre (texte et image) écrit à deux mains avec un court-métrage, écrits, pensés ensemble.

Le titre est «la limite ».

Je parcours les bords du livre, de l’image, du son, du cadre,...

Drôle d’équilibre sur plusieurs fils...

Vais-je tomber ?




- Où et comment vous voyez-vous dans 10 ans ?

Question boussole et sextant !

Je suis très mauvaise élève en logique, chronologi-que et calcul métrique. Dix ans c’est loin ! C’est à la porte ! C’est hier et demain. Je ne sais plus bien.

Où je serai ? J’espère un petit peu plus loin dans les brouillards de ma tête. Un peu grandie et aguerrie. Et sans réponses...



Références
Littérature de jeunesse
- Un livre pour la jeunesse qui vous a marqué petit ?

Question caravelles et voiliers, et que de gréements, que de cordages, de poupes, d’haubans ! Quelques voyages marquants :
Ernest et Célestine ont perdu Siméon de Gabrielle Vincent,

les Arnold Lobel,
Ce jour-là et Le jour suivant de Anno Mitsumasa

Les Grimm illustrés par Lisbeth Zwerger

Plus tard, les Roald Dahl et Quentin Blake...


On m’a lu énormément de livres.

- Quels sont vos auteurs-illustrateurs de référence ou qui pour vous développent une approche intéressante ?

Question où j’écope ! J’ai la mémoire très parcellaire et défaillante pour ce genre d’exercice ! Je ne suis plus trop la production dite « jeunesse » pour le moment et je vous demande d’avoir la bonté d’excuser mes lacunes. Je ne suis pas du tout du côté du regard général et analytique sur la littérature dite de « jeunesse ». Je reste dans mes chemins. Je vais voir ailleurs. Besoin de quitter le monde de l’album pour se nourrir l’esprit, se changer la tête.

Alors, quelques uns, en désordre, incomplets...

Sendak (Max et les Maximonstres)

Le graphisme de Kveta Pakovska

Wolf Erlbruch

Munari

Leo Leonni (Petit-Bleu et Petit-Jaune)


Claude Ponti

Beatrice Alemagna

Kitty Crowther

Anne Brouillard

Rackham

Hélène Riff

Carl Cneut

Le travail graphique et d’édition de Olivier Douzou,

Frémok, l’Association, Passages Piétons...

Quels sont vos livres "coups de cœur", les "incontournables" en littérature de jeunesse ?

Wolf Erlbruch

Beatrice Alemagna

Katrin Strangl

Kitty Crowther

Hélène Riff

Little Nemo,
Voisin voisine de José Parrondo

L’orage de Anne Brouillard

Mariguita et la soupe du Paradis de Géraldine Alibeu

Les monstres d’Emmanuelle Houdart

Kveta Pakovska

Anke Feuchtenberger

J’essaye de penser à ce qui m’a marquée : mille et une choses ! C’est infini quand on commence à réfléchir...

Culture

question aquatique...

- Un film, une photo/illustration qui vous touche ?

Un cinéaste qui m’a marquée : Artavazd Péléchian avec ses courts-métrages « les saisons » et « la conquête de l’espace (je crois) », courts-métrages que j’ai vus enfant et qui m’ont transportée.

- Un musicien

Bach.

En poésie, j’aime citer Barbara. J’ai peur qu’on l’oublie.

- Un lieu où vous aimeriez vivre

Quelque part.


Pas ailleurs.

Quelque part est lié à la terre, c’est-à-dire, ancré.

Ailleurs, c’est le lieu pour la tête. Aérien.

- Une phrase qui vous guide

Je pense au mot longtemps.

Au mot loin.


Je me répète souvent : écoute. Ecoute, donc. Parce que j’écoute mal.

Actualité
- Vos dernières bonnes lectures ?

Questions marines : plusieurs beaux bleus.


En « roman » que l’on m’a précieusement offert : L’Esclave Vieil Homme et le Molosse de Patrick Chamoiseau à la langue flamboyante.

Sur le temps : Les Tactiques de Chronos d’Etienne Klein

En poésie : Valérie Rouzeau

En polar : Fred Vargas, L’homme à l’envers

En jeunesse : Gerda Den Hoven, Où est maman ?

Entre les lignes : Le silence bruisse en coulisse. Echos mêlés de ces voyages.

J’ai recommencé à écrire.

Pour écrire.

Et pour « la limite ».

- Un site ( sur les techniques graphiques, un auteur-illustrateur, une approche particulière du texte, de la littérature... ) que vous souhaitez recommander ?

Question sable : je ne navigue pas beaucoup sur la toile. Je me perds déjà beaucoup sur un fil. Oh ! je me noierais dans une flaque !


Je vous renvoie donc le galet : Ricochet !


avec mes salutations les plus envolées,

auue herbauts


Auteurs et illustrateurs en lien avec l'interview

Illustration d'auteur

Anne Herbauts

belge